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Intérieur d’un wagon de troisième classe en Espagne. — Dessin de G. Doré.



VOYAGE EN ESPAGNE,

PAR MM. GUSTAVE DORÉ ET CH. DAVILLIER.




DE PERPIGNAN À BARCELONE.

1862. — DESSINS INÉDITS DE GUSTAVE DORÉ. — TEXTE INÉDIT DE M. CH. DAVILLIER.


De Perpignan à Figueras. — Gerona. — Les serenos. — Le torrent del Manol. — La noria. — Le chemin de fer de Tordera à Barcelone.

Depuis longtemps mon vieil ami Doré me parlait de son désir de voir l’Espagne : dans les premiers temps, ce n’était qu’un vague projet, négligemment lancé en l’air entre deux bouffées de cigare ; mais ce fut bientôt une idée fixe, un de ces rêves qui ne laissent pas de repos à l’esprit, et je ne le voyais pas de fois qu’il ne me demandât à brûle-pourpoint :

« Quand partons-nous pour l’Espagne ?

— Mais, mon cher ami, lui répondais-je, tu oublies donc que, neuf fois déjà, si je sais bien compter, j’ai parcouru dans tous les sens la terre classique de la castagnettes et du boléro ?

— Raison de plus, reprenait-il : puisque tu as vu l’Espagne tant de fois, il n’y a plus de raison pour t’arrêter ; ton frère brûle comme moi de partir ; à quand notre départ ? »

J’avoue que je ne sus trouver aucune objection à un raisonnement de cette force, et notre départ fut bientôt résolu. Une des plus grandes joies du voyage, c’est en effet de revoir ce qu’on a déjà vu, et de le revoir en compagnie d’amis excellents et sympathiques. Or, outre mon frère, nous devions avoir pour compagnon de voyage un de nos écrivains les plus spirituels ; cet espoir, hélas ! nous fut ravi : retenu à Paris par des travaux importants, il ne put se joindre à nous, et notre quatuor projeté se trouva réduit à un trio.

Aussi bien, je devais à Doré de l’accompagner dans ce voyage : cent fois je lui avais dit qu’il était le peintre qui devait nous faire connaître l’Espagne ; non pas celle des opéras-comiques et des keepsakes, mais l’Espagne vraie, avec ses rustiques Aragonais, ses vigoureux Catalans, ses Valenciens demi-nus et basanés comme des