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Vue d’Altona. — Dessin de Guiaud.


VOYAGE EN DANEMARK,

PAR M. DARGAUD[1].
1860
(EXTRAITS.)


I

Altona. — Le château de Ploen. — Kiel et le Slesvig. — La Baltique, la mer et le Danemark. — Korsôr. — La Fionie. — Le château de Glorup. — Le médecin de campagne. — Le pasteur. — Le maître d’école. — Le pâtre.

Le 6 juillet 1860 nous nous sommes arrêtés à la grille qui sépare Altona de Hambourg. Cette grille est une frontière. Au delà verdit le Danemark allemand : le Holstein. Nous nous sommes engagés dans cette contrée couverte de moissons, de pâturages et de bois. La route que nous avons suivie laisse à quelques kilomètres sur la droite le château ducal de Ploen, qui se mire dans le lac du même nom, une de ces petites méditerranées dont le sol danois est constellé. À dix heures et demie nous étions à Kiel.

Le port de Kiel est magnifique. C’est là que les flottes française et anglaise ont été admirées à l’époque de la guerre d’Orient.

Ce port, avec sa cathédrale, ses quais, ses édifices, et en face, sur l’autre rivage, avec ses collines, ses termes et ses prairies, est la fin d’un monde, du monde allemand, je dirai même européen ; il est le commencement d’un autre monde : le monde scandinave.

La Baltique gronde au loin, et dans sa ténébreuse vastitude, derrière les vagues et les nuages, l’imagination évoque toutes les traditions païennes de l’Islande, les livres primitifs, les épopées et les sagas. L’heure donc où l’on va s’orienter pour cette Thulé confuse des anciens est une heure solennelle. C’est là que ramèrent les Vikings et que chantèrent les scaldes. C’est là qu’habitent dans les tempêtes les oracles cosmiques, les origines des Ases et des héros, et le dieu Surtur, le dieu primordial et voilé : Deus absconditus.

Nous nous sommes embarqués au milieu des ombres les plus profondes. C’était l’abîme, c’était la nuit ; un abîme mystérieux, une nuit impénétrable. J’éprouvais d’ailleurs une fatigue universelle. Puisque je ne pouvais rien voir, je me suis donc couché sans remords sur un canapé du navire. Tout enveloppé de manteaux et de

  1. Un vol. in-18. Paris, 1860. L. Hachette et Cie. — M. J. M. Dargaud qui a bien voulu nous autoriser à emprunter à son élégante relation le texte de cette livraison et des deux suivantes, est l’auteur bien connu d’une Histoire de Marie Stuart, d’un livre intitulé la Famille, et d’autres ouvrages très-estimés. — Toutes nos gravures ont été faites d’après les peintures, estampes, dessins ou croquis communiqués par différentes personnes qui ont visité le Danemark pendant le cours des huit ou dix dernières années.