Page:Le Tour du monde - 05.djvu/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cida à revenir vers l’endroit où il avait laissé M. Wills. « Je lui apportais trois corneilles, continue-t-il ; mais je le trouvai mort là où il s’était couché. Les natifs y étaient venus, et avaient emporté une partie de ses habits. Je recouvris le corps de sable et restai là plusieurs jours ; mais voyant que ma provision de nardou tirait à sa fin, et que je n’en trouvais pas d’autre dans les environs, je me mis sur la trace des indigènes qui étaient venus au camp, en suivant leurs empreintes sur le sable… » Je n’ai rien voulu changer à ce simple récit, qui nous fait assister en quelque sorte, heure par heure, à l’agonie des deux patients.

Le journal de M. Wills s’arrêtait au 28 juin, six jours avant le retour de King.

Ces tristes scènes se passaient dans la partie supérieure du Cooper’s-Creek, à une trentaine de milles vers l’ouest du camp où Brahe avait séjourné pendant trois mois.

Le reste de la tragédie peut se raconter brièvement. King rejoignit la tribu australienne dont il suivait la piste. Accueilli d’abord, puis averti par des signes non équivoques qu’il eût à prendre d’un côté pendant que la tribu irait de l’autre, il réussit pourtant à rester l’hôte de ces pauvres sauvages, dont il était alors heureux de partager la misérable vie plutôt que d’errer seul au milieu du désert, en leur faisant comprendre qu’avant deux lunes les hommes blancs viendraient le secourir, et que ceux qui l’auraient recueilli recevraient de bons présents pour leur hospitalité.

Il eut à mener cette vie pendant deux mois entiers. Brahe, après son départ de Cooper’s-Creek, avait rencontré, à cent cinquante milles de Melbourne, une petite troupe conduite par M. Howitt, que le comité, ainsi que l’avait recommandé M. Burke, envoyait sur les traces de l’expédition pour le cas où elle aurait besoin de secours. Cette rencontre de Brahe et de M. Howitt eut lieu le 28 juin, le jour même où Wills expirait abandonné au milieu du désert. Instruit de l’état des choses, et trop justement alarmé, le comité envoya en toute hâte à M. Howitt la recommandation pressante de gagner au plus vite Cooper’s-Creek et de chercher par tous les moyens à s’assurer du sort de M. Burke et de ses compagnons.

M. Howitt arriva le 13 septembre au camp de Cooper’s-Creek ; et continuant de remonter le lit du ravin, il se trouva le surlendemain au lieu où campait la tribu qui avait recueilli King. Celui-ci, à l’arrivée du secours depuis si longtemps attendu, était assis dans la hutte que les indigènes lui avaient construite. « Il offrait une triste apparence, dit le journal de M. Howitt ; les traits dévastés comme ceux d’un cadavre, et n’ayant plus guère de l’être civilisé que les restes de vêtements dont il était couvert. Il paraissait excessivement faible ; à peine si parfois je pouvais entendre ce qu’il disait. Les indigènes étaient tous groupés en rond, accroupis sur le sol, leur physionomie rayonnant d’une expression de plaisir. »

Un triste devoir restait à remplir. Les restes de Wills et ceux de Burke furent retrouvés aux lieux où la mort les avait frappés. Une double fosse creusée dans le sable reçut les ossements des deux victimes, dont une double inscription rappela les noms, l’âge et la fin. Burke avait quarante ans ; Wills n’était encore que dans sa vingt-septième année.

Tel a été le sort des deux premiers explorateurs qui aient réussi à traverser l’Australie dans sa largeur du sud au nord ; telle a été la prise de possession de ces tristes solitudes, où pourront se propager les troupeaux de la colonie, mais où d’immenses espaces ne seront jamais fécondés par la civilisation.


Les deux voyages de MacDouall Stuart pour la traversée de l’Australie, 1860, 1861. — Troisième voyage entrepris, 1862.

Un autre nom avait devancé dans ces derniers temps la renommée du nom de Burke, et lui restera associé dans les fastes géographiques de l’Australie : c’est celui de l’Écossais MacDouall Stuart. Fixé depuis longtemps dans la colonie, Stuart avait fait partie de la troupe qui accompagnait le capitaine John Sturt dans son voyage de 1845, le premier où l’on ait tenté sérieusement d’entamer la région centrale du continent australien. On sait que dans cette expédition de 1845, Sturt s’avança, sans pouvoir le dépasser, jusqu’à un point à peu près également éloigné du golfe Spencer et du fond du golfe de Carpentaria. L’intelligence de MacDouall, son énergie, ses dispositions actives et son esprit entreprenant, l’avaient fait remarquer de Sturt ; et depuis lors, notamment en 1858, il eut occasion de déployer ces qualités naturelles dans plusieurs reconnaissances qu’il fut chargé de conduire aux environs du lac Torrens et des autres lagunes salines de la province de South-Australia. Une mission plus importante lui fut confiée à la fin de 1859. Les diverses provinces, où, comme on dit, les colonies australiennes, rivalisent d’efforts pour étendre, au profit de leurs exploitations pastorales, les explorations intérieures. Dans le même temps que la province de Victoria, représentée par la Victoria Society de Melbourne, songeait à organiser la grande expédition qui devait être dirigée par O’Hara Burke, une association de colons de la province de South-Australia faisait de son côté les fonds d’une expédition analogue qui devait essayer d’atteindre soit le Carpentaria, soit le golfe de Cambridge, sur la côte nord du continent. Ce fut Stuart qui en fut chargé. Il partit au commencement de mars, non d’Adélaïde même, mais d’une station de la colonie située à une centaine de milles au delà du lac Torrens, s’avança au nord en suivant une ligne plus occidentale de deux cent cinquante milles que la route de Sturt en 1845, se trouva, le 23 avril, à un point que, d’après les observations, on jugea être le centre même, l’ombilic de l’Australie, et qui reçut le nom de Mount-Stuart, et continuant d’avancer dans la direction du Carpentaria, arriva, le 20 juin, au 18° degré 40’de latitude australe, à deux cents milles du fond du golfe. Les démonstrations hostiles des indigènes ne lui permirent pas d’aller plus loin ; Stuart dut revenir vers le sud. Il était de retour à son point départ dans les derniers jours du mois