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saxonne a joint ses incitations à celles de la colonisation. On a voulu connaître pour elles-mêmes ces parties tout à fait intérieures du continent dont les abords se présentent sous d’effrayants aspects. Des théories se sont formées sur la nature et la conformation de la région centrale ; on a voulu vérifier ces théories. Y avait-il là une caspienne, une mer sans écoulement, ou bien n’y devait-on rencontrer que d’immenses saharas, des déserts de sable, sans végétation et sans eau ?

On se trouvait ainsi en présence d’une question de physique terrestre ; et les tentatives d’explorations intérieures, si elles avaient cessé de toucher aux intérêts pratiques de la colonie, seraient restées des problèmes pour la science. Accomplir la traversée du continent en le coupant par ses parties centrales est ainsi devenu la préoccupation dominante des explorateurs australiens.

Ces explorateurs, pour la plupart, appartiennent à la colonie même. C’est sous l’inspiration et aux frais des administrations locales qu’ont eu lieu les tentatives renouvelées coup sur coup depuis vingt ans, et en particulier celle de M. Burke.

Irlandais d’origine, comme son nom l’indique, O’Hara Burke était depuis plusieurs années au service de la colonie. La détermination dont il avait fait preuve en plusieurs circonstances, et son intelligence reconnue, le firent désigner pour conduire l’expédition que vers le milieu de 1860 la société Royale de Victoria — une association qui s’est formée à Melbourne pour activer et patronner les explorations de l’Australie — avait résolu d’envoyer dans l’intérieur. Les préparatifs en furent faits sur une large échelle. L’expédition se composait d’une vingtaine de personnes, dont un astronome-ingénieur (M. J. Wills), un naturaliste-géologue, un médecin, etc. Il est vrai que bien avant qu’on ne fût arrivé au désert, la discorde se mit dans la troupe et qu’une partie se sépara ou fut congédiée ; de sorte que finalement Burke ne garda avec lui que sept de ses hommes les plus résolus. On avait pour un an de provisions, qu’on devait à peine entamer tant qu’on serait dans les limites de la civilisation. Les provisions étaient portées à dos de chameau, cet animal ayant paru mieux convenir que le cheval pour traverser de longs déserts. La fatalité devait, hélas ! déjouer toutes les prévisions.

Le point que Burke se proposait d’atteindre était le fond du golfe de Carpentaria, presque directement au nord de Melbourne ; l’intervalle à franchir était de vingt degrés à vol d’oiseau, c’est-à-dire au moins six cents lieues ou quatorze cents milles géographiques sur le terrain. L’explorateur qui jusque-là était allé le plus loin dans cette direction était le capitaine Sturt, en 1845. Parti d’Adélaïde, sur la côte du Sud, il avait accompli à peu près les deux tiers du trajet ; mais il avait dû revenir sur ses pas en proclamant impossible de franchir la région aride et pierreuse devant laquelle il lui avait fallu s’arrêter. Plusieurs tentatives renouvelées depuis Sturt n’avaient fait que confirmer ce jugement.

Il y avait là comme un charme fatal qu’il fallait rompre à force de volonté et d’énergie.

C’est à cette tâche que Burke et ses compagnons fidèles se sont dévoués.

On quitta Melbourne le 20 août 1860. L’expédition, dans la première partie de sa route, traversa un pays déjà connu et en partie colonisé, dont les eaux vont aboutir au Murray, ou au Darling son affluent. À la fin de septembre, on traversa le Darling, et le 11 novembre, après un court séjour à Ménindie, dernière station coloniale au delà de cette rivière, on atteignit un cours d’eau déjà marqué sur les cartes sous le nom de Cooper’s-Creek. On avait accompli en quatre mois la moitié du voyage, mais la moitié la plus facile ; six cents milles restaient à faire pour atteindre le golfe de Carpentaria. Ici Burke divisa sa petite troupe. Un de ses hommes, Brahe, en qui il avait toute confiance, fut laissé à Cooper’s-Creek avec trois autres assistants pour y recevoir les provisions restées en arrière, et y attendre son retour au moins pendant trois mois.

Ces dispositions prises, Burke se remit en route le 16 décembre accompagné de ses trois compagnons de choix, MM. Wills, King et Gray, avec six chameaux, un cheval, et pour trois mois environ de provisions. En quittant Cooper’s-Creek, la petite troupe fut accostée par une bande d’indigènes. Voici ce qu’en dit M. Wills dans son journal : « Une nombreuse tribu de noirs voulait absolument nous conduire à leur camp, où nous assisterions à une danse, ce que nous refusâmes. Ils étaient fort importuns, et il ne fallut rien moins que la menace de tirer sur eux pour nous en débarrasser. On les effraye, du reste, aisément, et quoique ce soient des hommes de bonne apparence, leur disposition n’est décidément pas belliqueuse. Ils se montrent très-enclins à dérober tout ce qu’ils peuvent, pourvu que ce soit sans risques. Ils portent rarement des armes, sauf un bouclier, et une sorte de grande barbacane dont je crois qu’ils se servent pour tuer des rats et d’autres animaux de même sorte. Quelquefois, mais très-rarement, ils ont une grande lance ; les lances en roseau paraissent leur être tout à fait inconnues. C’est sans aucun doute une race d’hommes plus belle et de meilleure mine que les noirs de la Murray et du Darling, et aussi plus pacifique ; mais à d’autres égards je les crois inférieurs, car d’après le peu que nous avons vu d’eux, ils nous ont paru d’un caractère singulièrement bas et pusillanime. »

Les premières journées, à partir de Cooper’s-Creek se firent dans la direction du nord-ouest. On gardait à peu près la ligne de route qu’avait suivie Sturt en 1845 ; mais bientôt on inclina de nouveau à l’est jusqu’au cent quarantième méridien est de Greenwich, et la route dès lors ne s’écarte plus sensiblement de ce méridien (plus oriental d’une centaine de milles que le point où s’arrêta Sturt) jusqu’aux approches du Carpentaria.

Le journal de Wills, qui nous donne, malgré sa sécheresse, une idée suffisante de la partie du voyage comprise entre Cooper’s-Creek et le fond du golfe, manifeste fréquemment la surpris agréable que cause aux voyageurs la vue d’un pays infiniment moins aride qu’ils ne s’attendaient à le trouver. Le commencement de la sai-