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non pas qu’il éclatât dans la ville de ces belles horreurs que la passion religieuse inspire ; mais une sourde guerre de tous les jours et sur tous les points, à coups d’épingles et à coups de langue, que les femmes entretenaient par leur costume, les hommes par leurs disputes, et les gamins par leurs cris. Chaque confession avait son bonnet, ses cafés, ses brasseries, ses fournisseurs et son cimetière, puisqu’il faut toujours finir par là. Un protestant serait mort plutôt que d’appeler un médecin papiste et une catholique n’aurait point voulu accoucher si elle n’avait eu, pour recevoir l’enfant, qu’une sage femme luthérienne.

On était pourtant parvenu à réunir les pauvres diables dans un même hospice, celui de Saint-Jacques, et ils se laissaient guérir sans trop s’inquiéter si l’emplâtre était protestant ou les sangsues catholiques. Mais la salle commune était éclairée par des bougies et les restes appartenaient de droit aux habitants de l’hôpital, qui achevaient de les user dans leurs chambres. Quand il fallut faire ce partage, toutes les animosités se réveillèrent. La confession d’Augsbourg prétendit à la plus grosse part ; les « bonnets bavarois » la revendiquèrent. La guerre était dans la maison. Pour y ramener la paix, il fallut une révolution : le 4 octobre 1816, l’administrateur décréta : « À l’avenir on ne brûlera plus que de l’huile. » Quelque temps auparavant, ajoute l’historien humoristique de cette guerre, même chose était arrivée à la ville entière. La bourgeoisie avait subi le sort des gens de l’hospice Saint-Jacques. À ceux-ci on prenait leurs bouts de bougie, à celle-là on avait pris ses vieilles libertés impériales « pour leur donner à tous, en échange, un éclairage, royal et bavarois, à l’huile fumeuse[1]. »

Les deux religions se partagent inégalement la ville, qui compte 25 000 catholiques contre 14 000 protestants. Mais par un phénomène que bien des choses expliquent, qui se voyait en France au temps de Louis XIV et qui se voit encore dans la pauvre Irlande par opposition à l’exubérante Angleterre, les grandes fortunes d’Augsbourg sont dans des mains hérétiques. La minorité protestante est plus riche que la majorité catholique, elle a même plus d’influence au conseil communal et dans l’administration de la cité.

Il ne reste rien à Augsbourg du moyen âge ; c’est à Nuremberg qu’il faut aller chercher le gothique allemand. Une seule habitation féodale subsiste, la maison Imhof ; mais hélas ! le commerce a percé les gros murs du rez-de-chaussée pour y placer des vitrines ; et les grandes salles du premier étage, où résonnaient les éperons des chevaliers, ne sont plus que des chambres bourgeoises. Le château fort est une maison à louer.

Qu’est aussi devenu le feu de la Saint-Jean, ce bûcher, haut de 95 pieds, autour duquel l’empereur Maximilien, le joyeux « bourgmestre d’Augsbourg, » danse avec la belle Suzanne Neidhart et dont Charles-Quint profita, en 1530, pour faire l’économie d’un bûcher particulier à l’usage d’un artisan qu’il y fit brûler ? Et Michel du Perlach, la joie des enfants, grands et petits, d’Augsbourg ? Pour lui, il vit encore ; mais combien déchu ! Chaque année, à la Saint-Michel, il sort de sa tour, vieilli et tremblotant sur ses jambes de bois ; autant de fois l’horloge sonne d’heures, autant de fois, d’une main mal assurée, il plonge faiblement sa lance dans le corps du diable. Comme il était leste, jadis, et vif, et triomphant ! Un puissant mécanisme poussait d’une manière invisible l’archange radieux. Aujourd’hui l’on voit la main mercenaire qui tient et fait marcher le pauvre Perlach Michel. Les temps sont bien durs aux vieilles idées et aux vieilles fêtes populaires.

Une salle d’attente, à Augsbourg (voy. p. 223).

« Si nous n’avons plus rien du moyen âge, disent les Augsbourgeois, nous avons beaucoup de la Renaissance et notre grand architecte Élias Holl a dérobé à Venise l’art italien. Sir Robert Peel, d’ailleurs, nous a proclamés la plus belle ville de l’Allemagne. » Ce jugement, messieurs, prouve une fois de plus que sir Robert était… un grand financier. Quant à votre Élias Holl, aller à Venise au commencement du dix-huitième siècle, c’était un peu tard. La rue Maximilienne est en effet bordée de maisons plutôt curieuses que belles qui, par leur double caractère, montrent bien les deux influences qui se sont rencontrées ici : elles sont du nord par leur immense pignon en façade, et du midi par leurs corniches ita-

  1. G. Riehl, Cultur historisch Skizzen.