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eut la pensée de composer des poëmes qu’il récita aux paysans. Orphée rustique, il dompta ces barbares, il les émut, les attendrit. Ils lui permirent de glaner. Bien plus, ils lui firent eux-mêmes de frêles gerbes, afin qu’il pût les porter sans fatigue. Les jeunes filles y ajoutaient des bouquets de bluets et de coquelicots pour sa mère. Andersen était sauvé.

Il eut encore bien des traverses ; mais il avait recours à la muse. La Providence se communiquait à lui sous cette forme et l’affranchissait par les chansons. Andersen est un conteur très-religieux, très-personnel et très-danois.

C’est ainsi qu’il pénétra dans les chaumières, dans les maisons, dans les châteaux et jusque dans les palais. Ce pauvre petit glaneur a fait de son nom modeste un nom glorieux. Il a eu des rois pour Mécènes et des princesses pour amies. Tout son peuple, le peuple de Danemark, est fier de lui et l’exalte, sur le continent non moins que dans les îles.

Château d’Egeskow, en Fionie. — Dessin de Thérond.

Pendant mon séjour à Copenhague, la diète s’est assemblée. Elle se compose de cent et un députés et de cinquante et un pairs, divisés en deux Chambres à Christianborg. Les orateurs parlent de leurs siéges, comme en Angleterre. Ils n’ont pas de tribune. Les députés sont nommés pour trois ans, les pairs pour huit. Ils reçoivent tous à peu près neuf francs par jour. Les membres de la chambre populaire sont nommés par le suffrage universel et direct ; les membres de la Chambre haute sont nommés par le suffrage indirect à deux degrés. Aucun revenu n’est exigé des premiers, un revenu de trois mille cinq cents francs est exigé des seconds. Tous les citoyens, pères de famille, qui ne servent pas, qui savent lire et qui ont trente ans, sont électeurs.

La diète de Copenhague a sa part de souveraineté ; ses votes sont indispensables à la création des lois. Il n’y a pour elle qu’un roi constitutionnel.

Les duchés de Slesvig, de Holstein et de Lauenbourg ont chacun une diète particulière qui n’a d’autre droit que le droit de conseil. Là le roi est absolu.

Un conseil d’État, nommé pour huit ans, est de plus institué afin de veiller aux trois grands intérêts généraux du royaume et des duchés, à savoir : la flotte, l’armée et les affaires étrangères.

C’est dans ces limites et sur un terrain brûlant, mouvant, plein de mirages, que s’agitent les passions sociales.

Cette nation est monarchique de cœur. Le roi actuel, Frédéric VII, est très-aimé de l’ouvrier et du paysan. La bourgeoisie lui est dévouée. Personne n’oublie que la charte de liberté sous laquelle vit et prospère le Danemark est due au roi.

Toutes les classes sont puissantes : le peuple par le nombre et par l’aisance, la bourgeoisie par les lumières et par l’argent, la noblesse par l’éducation, par les manières, par la charité, par la propriété territoriale.

Château de Lovenborg, en Séeland. — Dessin de Thérond.

Si l’on remonte des chaumières du paysan et des maisons du citadin aux résidences seigneuriales des nobles, rien n’est plus pittoresque dans la géographie du Danemark et rien n’est plus grave dans sa politique.

Il y a au moins deux cents châteaux en Danemark. J’en ai admiré beaucoup. Il y en a d’imposants, dans leur masse. Il y en a de charmants dans leur légèreté et dans leur fantaisie. Les uns sont environnés de murs crénelés, flanqués de tours solides ; les autres sont dentelés d’ornements, décorés de cintres, d’ogives, d’échancrures, de galeries, de balcons, où l’imagination arabe et l’imagination écossaise se rencontrent avec le caprice scandinave. Il y a des châteaux qui sont des citadelles féodales, des donjons tristes, menaçants ; d’autres sont des résidences de chasseurs au milieu des bois ; d’autres des nids d’alcyons au bord de la mer ; d’autres des palais vénitiens sur des lacs ou sur des étangs, dont les ponts ciselés se réfléchissent à la surface des vertes lagunes. D’autres, plus rares, sont des Rosenborgs privés où le goût le plus exquis, sans abdiquer le passé, l’a relié au présent par les miracles du bien-être moderne et par l’enchantement des arts.