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Nord alimentent aussi les canaux, de telle sorte que les canaux ne viennent pas de la mer, comme un voyageur l’a écrit ; ils y vont.

Nous y avons été aussi à la mer et nous avons poussé jusqu’à la Longue ligne, une promenade au bord du Sund, l’une des plus belles de l’Europe.

Nous sommes revenus par la citadelle, que les deux canaux de Copenhague enveloppent. Nous avons traversé quatre ponts et deux portes. La citadelle est au centre. Elle est sinistre entre ses casernes.

J’ai pensé à Struensée et à Brandt. C’est là qu’ils ont été captifs tous deux, et c’est près de là, à la porte de l’Est, que leurs têtes sont tombées du même billot !

Il est trois monuments que je n’ai pas encore nommés et qui me captivaient comme des personnes. Une fois sous leur charme, je ne pouvais plus m’en détacher. Ces monuments sont la Tour ronde, le château de Rosenborg et le château de Frédériksberg.

Portail de l’église Notre-Dame, à Copenhague. — Dessin de Thérond.

J’ai monté souvent à pied la Tour ronde (rùnde Taarn), cette tour colossale sans escalier que le plus grand des empereurs de Russie montait au trot en voiture. L’aspect extérieur de cette tour avec ses fenêtres cintrées est très-mystérieux. Ce monument se relie à l’église de la Trinité. Il est d’une surprenante singularité et n’a nulle part son semblable. Bâti par Christian IV, il a été foulé et fouillé par le plus illustre des czars. J’ai considéré une à une les pierres où les serpents entrelacés et les lions fabuleux s’incrustent au milieu d’un alphabet primitif. Il y a là des inscriptions elliptiques, abrégées non-seulement dans la phrase mais dans le mot, et ces inscriptions sont tracées dans la langue des Edda. Cette langue, le norsk, est l’idiome primordial des races scandinaves venues d’Asie. Cet idiome éveilla d’abord les échos de l’Islande au huitième siècle, lorsque Naddoc, un pirate norvégien, aborda l’île inconnue. Au neuvième siècle, deux nobles Danois, Ingulf et Hiorleif, sous le règne d’Érik l’Enfant, plantèrent aussi leur bannière en Islande. Cette terre de l’Hécla, où les sources chaudes bouillonnent sous la glace, où le feu éclate sous les neiges éternelles, cette terre volcanique et formidable plut aux aventuriers et aux proscrits de Séeland. Ils s’y établirent avec une colonie de femmes, de guerriers, d’ouvriers et de prêtres. Or, tandis que le norsk, la religion et les traditions communes aux Danois, aux Norvégiens et aux Suédois, s’altéraient en Europe, au contact de l’Allemagne et des nations du Midi, le dialecte sacré avec tout ce qu’il contenait se conservait en Amérique, dans cette Islande lointaine, une autre partie qui touche au Groënland. Et voila comment l’âme orientale des peuples scandinaves sort chaque jour des brumes du nouveau monde, comment l’Islande avec son vieux norsk révèle les arcanes,