Page:Le Tour du monde - 04.djvu/86

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rachat avec les sauvages et parvint à recouvrer jusqu’à la chaloupe. Ceci se passait près du cap Grenville (latitude douze degrés).

Le schooner anglais, pour une raison que j’ignore, ne mit pas beaucoup d’empressements à ramener ses hôtes à la Nouvelle-Calédonie, colonie française la plus voisine. Il les employa à recueillir de l’écaille de tortue dans les îlots voisins du cap Grenville et sur ceux du récif d’Entrecasteaux à l’extrémité septentrionale de la Nouvelle-Calédonie. Pendant ce temps les Chinois attendaient à l’île Rossel !

Enfin le Prince-of-Danemark arriva à Port-de-France le 25 décembre 1858.


Un bâtiment de guerre est envoyé au secours des naufragés de l’île Rossel. — Délivrance d’un petit Chinois. — Spectacle horrible. — — Quel avait été le sort des trois cents Chinois.

Jusqu’ici, j’ai seulement rapporté ce que j’ai entendu dire par le capitaine P… ; je vais désormais prendre une part active dans les événements qu’il me reste à raconter ou du moins dire ce que j’ai vu. J’étais en effet embarqué sur le bâtiment de guerre expédié de la Nouvelle-Calédonie pour recueillir les malheureux qui attendaient, depuis cent jours, leurs sauveurs, sur le rocher de corail de l’île Rossel.

Nous partîmes de Port-de-France le 27 décembre, heureux et fiers de notre mission. Pas un de nos matelots n’ignorait notre destination et les horribles circonstances qui l’avaient provoquée. Les explications savantes des timoniers avaient appris à chacun que nous allions visiter des parages inexplorés et que la route que nous avions à faire pour y arriver, celle qu’il nous faudrait parcourir pour transporter les naufragés de Rossel à Sydney, étaient susceptibles de nous faire découvrir non pas précisément un continent, mais quelque île inconnue. Aussi, dans les belles soirées où le vent régulier du tropique dispensait de toute manœuvre et alors qu’une atmosphère attiédie invitait la bordée franche de quart à prendre les premières heures du repos sur le pont, tout l’équipage chantait-il en chœur une romance bien connue des marins et que les circonstances actuelles leur faisaient aimer davantage :

Gais matelots voguons sur l’onde,
Sillonnons la plaine profonde
Pour découvrir un nouveau monde.
     C’est pour cela
     Que Dieu nous créa.

La poésie n’est pas riche, mais les matelots sont sans prétention à cet égard.

D’après Les rapports du capitaine du Saint-Paul, le naufrage avait eu lieu à l’extrémité orientale de l’archipel de la Louisiade, probablement à l’île Adèle.

Le 5 janvier 1859 nous arrivâmes en vue de cette île, petite, formée de corail, couverte de bois et sans traces d’habitation. Nous ne pûmes découvrir aucun vestige du Saint-Paul et le capitaine P…, que nous avions à bord, déclara qu’il avait fait côte près d’une terre beaucoup plus élevée et qui pourrait bien être celle que nous apercevions un peu plus loin : c’était l’île Rossel que nous ne tardâmes pas à atteindre. Le Saint-Paul laissait encore apercevoir son beaupré et sa poupe sur le récif qui, de même que dans la plupart des îles de l’Océanie, s’élève comme une barrière entre la haute mer et la terre dont il semble défendre l’approche. Quelques centaines de mètres plus en dehors, le Saint-Paul eût doublé sain et sauf ce formidable écueil ! Dieu ne l’avait pas voulu.

Nous aperçûmes aussi l’îlot du Refuge, mais pas un être vivant, pas un signal sur ce pâté de corail de vingt mètres environ de largeur sur trente-cinq de longueur.

Un officier descendit sur l’îlot et y remarqua une tente en lambeaux encore fixée sur deux arbres, des troncs d’arbres sciés à un mètre du sol et creusés comme pour servir de réservoir, deux cadavres ensevelis sous une couche de cailloux, des débris de toile épars sur le sol avec une grande quantité de coquilles qui, ayant subi l’action du feu, avaient dû servir à la nourriture des naufragés.

La nuit survenant et aucun mouillage ne nous étant connu, il fallut attendre en dehors du récif la journée du lendemain.

Dès l’aurore notre commandant se mit en quête d’un mouillage. Cet officier, l’un des plus habiles de notre marine, avait observé dans ses longues pérégrinations en Océanie, un phénomène si général qu’il pourrait être établi en loi : c’est qu’à l’embouchure de toute rivière il y a scission dans le récif de corail (récif-barrière ou pâté). Le mélange d’eau douce et d’eau salée semble antipathique aux polypes coralliens. Son premier soin fut donc de chercher une rivière, et, quand il en eut aperçu une, il fit sonder devant et trouva un espace libre où nous pûmes jeter l’ancre en sûreté. C’est le seul mouillage connu jusqu’ici à l’île Rossel, et la sagacité avec laquelle il a été trouvé fait certainement le plus grand honneur à celui qui en a doté la navigation[1].


    parfaitement applicable ; ensuite à ce que la plupart des navigateurs et des personnes qui parlent et écrivent sans avoir vu, n’ont rien trouvé de mieux à faire que de copier et répéter ce qui avait été dit avant eux. — Cependant rappelons que tous les Australiens ne se ressemblent pas, non plus que les Normands ou les Flamands ne ressemblent aux Basques et aux Provençaux, quoique les uns et les autres soient Européens et, qui plus est, Français. Les Australiens que j’ai vus à Sydney et qui venaient des environs de New-Castle n’étaient guère conformes au portrait vulgaire. Ni leurs membres, ni leur tête, ni leur ventre n’offraient de disproportions sensibles. Ils n’étaient pas plus laids que les nègres que tout le monde connaît ; ils avaient même sur eux l’avantage d’une belle chevelure longue et tombant en mèches frisées sur les épaules. Ils n’étaient pas inintelligents, tant s’en faut. Voilà pourtant les gens que M. de Rienzi compare aux orangs-outangs !

    Le grand argument contre eux c’est que les Anglais n’ont pu les civiliser. Mais John Bull est un marchand ; il vend ses pacotilles à tous les peuples et n’en civilise aucun. Quand il se fait cultivateur, il transforme la terre la plus ingrate, il la métamorphose par des prodiges d’intelligence et d’industrie, mais il n’en transforme pas les habitants. Ceux-ci le gênent et il les chasse. (Note de M. de Rochas.)

  1. Au retour du voyage à l’île Rossel une cruelle maladie sépara M. G. du Styx, qu’il commandait avec autant de bonté que de zèle, et lui ravit le fruit du grain qu’il avait semé : sic vos non vobis, etc. (Note de M. de Rochas.)