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taigniers dont le chemin est bordé, forme de ses branches et de ses brindilles enlacées au-dessus de la tête du voyageur un toit de verdure frais et élégant.

Guimaraens est bâtie dans une jolie vallée où les érudits prétendent retrouver l’emplacement de l’antique Araduca, signalée par Ptolémée, et dont les habitants s’étaient mis sous la protection de Cérès. Conquise autrefois sur les Maures par les rois de Léon et d’Oviédo, la ville s’élève, à peu de distance de la rivière d’Azevilla, sur la rive droite de l’Ave, dont la course tranquille se poursuit jusqu’à l’Océan, qui la reçoit entre deux moitiés de port, Aznar et Villa do Conde[1]. D’abord comté, érigée plus tard en duché pour devenir l’apanage héréditaire de l’aîné de la maison de Bragance, Guimaraens est entourée de fortifications dues en partie au roi Diniz, et un vieux château défend un pays déjà difficile, où la présence d’esprit et la fermeté du maréchal Soult sauva l’armée française lorsqu’elle dut évacuer la province.

Le château est dans la partie de la cité qu’on appelle la Vieille-Ville. Quand l’ombre du soir, effaçant les détails, agrandit les proportions des masses, il peut encore annoncer de la force, de la vigueur ; sa grande silhouette proclame une sorte d’importance, et l’aspect de son profil a quelque chose d’énergique, de rude, de menaçant. Au jour, cette impression disparaît : le colosse est décrépit et tient à peine debout. N’importe, lézardés, chancelants sur leurs assises et même par endroits écroulés, ces murs sont au plus haut point respectables : c’est là qu’Affonso, le premier roi de Portugal, est né ; dans cette enceinte, Taréja a présidé l’académie — un peu galante — qu’elle avait formée sous l’inspiration de troubadours béarnais ; ces créneaux, dont la construction remonte peut-être aux Almoravides, ont abrité, défendu et sauvé la monarchie naissante lorsque Affonso se trouva assiégé dans sa capitale par le roi de Léon, et ces nobles souvenirs protégent l’antique forteresse contre l’indifférence du touriste.

L’église de Nossa-Senhora da Oliveira (Notre-Dame de l’Olivier) a reçu son nom d’une légende curieuse. La voici : Au temps des Goths, Wamba était un jour occupé au labourage d’un champ. Il conduisait lui-même la charrue, et l’aiguillon à la main, il activait ses bœufs, lorsque les envoyés de la noblesse vinrent le trouver au milieu de cette occupation et lui annoncèrent son avénement au trône. Surpris et incrédule, Wamba qui n’avait jamais rêvé la couronne, leur répondit qu’il serait roi lorsque son aiguillon aurait des feuilles, et en même temps il l’enfonça dans le sol. Par un effort extraordinaire de végétation, ou plutôt par une intervention immédiate du ciel, l’aiguillon prit racine à l’instant et se couvrit de branches, de feuilles et de fruits.

Le souvenir de ce prodige n’est pas conservé seulement dans le vocable de l’Église. En face de Nossa-Senhora da Oliveira, sur la place du Collége, le Padrao (monument) témoigne du culte dont la tradition de l’olivier est entourée. Le Padrao, petite construction gothique du commencement du quatorzième siècle, a été élevé tout près de l’endroit où s’est accompli le miracle, et l’olivier lui-même, l’olivier de Wamba, le roi-laboureur — ou l’un de ses rejetons — est là, ceint d’une balustrade de fer, étendant ses rameaux restés jeunes et vigoureux, honoré, vénéré, et un peu adoré, je crois, par toutes les générations qui se succèdent dans le pays depuis une dizaine de siècles. Je ne partage peut-être pas à cet égard la croyance populaire ; mais Dieu me garde d’une raillerie ! la légende est jolie, elle a le parfum de naïveté qui convient au sujet et je la respecte au moins comme une relique des âges qui ne sont plus.

L’église de Nossa-Senhora da Oliveira est d’un caractère sévère ; elle appartient, elle aussi, au quatorzième siècle[2]. Malheureusement, sous prétexte de restauration, quelques parties de l’extérieur ont été remaniées dans un goût qui s’accorde mal avec le caractère primitif de l’édifice, et l’intérieur a été rhabillé à neuf, au moyen de placages de plâtre du plus pitoyable effet. Affonso a été baptisé dans cette basilique où l’on conserve la cuve baptismale qui a servi à la cérémonie. On dit que le trésor de l’église est riche en pièces d’argenterie très-anciennes et d’un beau travail[3].

La ville neuve est déjà âgée de quatre cent cinquante ans : elle s’est élevée auprès de l’ancienne cité, au commencement du quinzième siècle, et comme ses églises, ses larges rues, ses places entourées de galeries et de maisons en général bien construites ne nous apprennent rien de nouveau, après avoir donné à Nossa-Senhora da Oliveira, au Padrao, et au château, le plus clair de notre temps, nous revenons à l’hôtel pour nous préparer par un peu de repos à la route du lendemain qui sera longue et nécessairement fatigante.

Olivier Merson.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. Les rochers et les sables rendent l’accès de l’Ave très-dangereux. La barre, à mer haute, ne mesure que treize pieds.
  2. Cette basilique a été construite sous D. Juan Ier ; la chapelle principale sous D. Pedro II, en 1670. Le Padrao est dû à la piété d’Affonso IV, dont les armes décorent un des frontons du petit édifice.
  3. La loi donne le titre de senhoria (seigneurie) aux chapitres des églises archiépiscopales et épiscopales, en corps collectif. Par exception, les membres des chapitres de Guimaraens, de Braga et de Porto jouissent individuellement de cette prérogative honorifique. Le patriarche de Lisbonne est Eminencia. Du reste, dans l’usage général, tout homme comme il faut est Excellencia. À une personne des classes inférieures, on dit Senhoria, et aujourd’hui la qualification de vossa Mercè, qu’on donnait autrefois aux prolétaires, n’est, pour ainsi dire, admise mille part.