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France et en Espagne, bien qu’on ait choisi pour ces expériences les terrains les plus convenables.

À une seule époque de l’année, des pâturages abondants sont parcourus par les chèvres ; c’est à la suite des froids et des neiges de l’hiver, lorsque les premières pluies tièdes amènent le retour de la végétation. Cet excès de nourriture produit une excitation d’autant plus vive que les privations de l’hiver se sont fait sentir avec force, et il se traduit par le développement des toisons en longueur. Du reste, ce temps est de courte durée ; la tonte n’est pas opérée, que déjà le pâturage a perdu son tapis de verdure, l’herbe a jauni, et l’aliment n’a plus la puissance qu’il avait quelques jours auparavant.

Pendant longtemps on s’est assez peu occupé de propager la race des chèvres d’Angora, à cause du peu de valeur des toisons dans le pays même, relativement au prix des marchés d’Europe. Cette négligence s’explique d’ailleurs dans une contrée où les relations de village à village sont peu fréquentes. Heureusement l’augmentation qui s’est produite récemment sur la valeur de cette marchandise, a donné une vive impulsion à la reproduction. Il y a quelques années à peine, la soie des chèvres valait quatre ou cinq piastres (80 c. ou 1 fr.) l’oque (1 kil. 250) sur les marchés du pays. Aujourd’hui, pour le même poids de poils bruts, la valeur moyenne varie entre vingt-cinq et trente piastres (5 ou 6 fr.), ce qui en porte le prix, après nettoyage, à douze ou quinze francs.

Vue de Ghel-Ara. — Dessin de Grandsire d’après J. E. Dauzats.

À Bey-Bazar il est plus facile d’étudier les chèvres que les habitants. Les femmes, enveloppées dans d’immenses couvertures blanches, ne laissent voir littéralement aucune partie de leur corps. Elles passent en silence dans les rues comme de longs fantômes blancs, et la persistance avec laquelle elles se retranchent sous ces voiles impénétrables me fait vivement regretter ces physionomies agréables et surtout ce costume si original que j’admirais quelques jours auparavant à Torbaly.

Nous avons placé notre tente au bord d’un ruisseau, à l’une des extrémités de la ville. Au-dessus de nous, j’aperçois le long de la montagne un monument en ruines vers lequel je me dirige avec notre interprète ; c’est une espèce de chapelle, dont l’intérieur richement orné rappelle le style grec. Au milieu de la chapelle s’élève un tombeau, que les Turcs me disent être celui d’un personnage vénérable et célèbre par sa piété.

L’heure du départ est arrivée. Nous cessons de marcher en avant, et, traversant de nouveau la ville, nous retournons sur nos pas, pour nous diriger vers le sud. Après avoir longé des masses de rochers aux formes les plus pittoresques, dans lesquelles s’ouvrent çà et là des grottes profondes, nous nous trouvons bientôt au bord d’un fleuve. C’est le Sangarius, dont nous avons déjà