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troupes de dix à quinze individus dans les vallées où l’herbe est la meilleure, cette chasse dérangeait notre bétail, et nous ne nous accordions ce plaisir que pour en faire honneur à des amis. Rien n’est charmant comme les kanguroos broutant assis sur leurs longues pattes de derrière, s’appuyant sur leurs petites mains et se relevant à chaque instant pour savourer leurs herbes et écouter, les oreilles tendues en avant, s’ils n’ont pas quelque sujet de fuir. À pied, il est impossible de les approcher ; mais on le peut plus facilement à cheval, parce qu’ils sont accoutumés à voir les chevaux dans les pâturages.

Trois de nos amis étaient venus de Melbourne pour se joindre à nous. Nous partîmes pour cette chasse un peu après le milieu du jour. Guillaume de P… marchait en avant, suivi de grands lévriers d’origine anglaise ou écossaise. Puis venaient nos quatre jeunes ladies, impatientes de suivre la chasse, et nous tous après elles.

Le premier troupeau que nous rencontrâmes se mit à fuir à environ trois cents pas de nous ; c’était trop loin pour espérer de l’atteindre ; cependant Guillaume lâcha les chiens et nous nous élançâmes au galop derrière eux.

Comme tous les autres animaux, c’est en liberté qu’il faut voir le kanguroo : ceux que vous pouvez avoir vus au Jardin des plantes ne vous donneront nullement l’idée des kanguroos qui peuplent le bush australien, pas plus que le chamois qui est en cage à côté de l’auberge du Giesbach ne représente ses amis du Faulhorn. Le kanguroo saute sur ses pattes de derrière seulement, le corps droit et un peu penché en avant, ses bras pendants sur sa poitrine. Il se met en mouvement par petits bonds réguliers, les augmentant à mesure qu’il se sent poursuivi. À toute vitesse, il franchit bien douze à quinze pieds de chaque bond. Quand il vient de sauter et qu’il est en l’air, sa longue queue et ses longues jambes pendantes se touchent. Elles se séparent de nouveau pour le recevoir au moment où il va retomber à terre, ce qui produit à chacun de ses bonds un double mouvement de pendule très-original et très-gracieux. Les kanguroos s’enfuient toujours les uns derrière les autres, en colonne par un, comme on dirait à l’école du cavalier. Les plus vieux étant les plus lourds, sont ordinairement les derniers ; avec eux se trouvent quelquefois de jeunes étourdis qui n’ont pas obéi assez promptement au signal du départ donné par leurs mères.

Nous perdîmes de vue le troupeau et, quand les chiens furent revenus, nous nous remîmes en ordre et gardâmes le silence, afin de pouvoir nous approcher davantage de la première troupe que nous découvririons.

Bientôt, à l’entrée d’une longue et étroite vallée, bordée de collines assez rapides, nous aperçûmes un nouveau troupeau. Tout nous promettait cette fois une belle chasse, car les chiens ayant tout avantage sur les kanguroos à la montée, nous étions sûrs que ceux-ci fuiraient droit devant eux dans la plaine. Arrivés à cent cinquante pas du troupeau, nous excitâmes les chiens et nous nous élançâmes après eux.

Notre gracieux gibier semblait d’abord s’éloigner et devoir nous échapper ; mais nous galopions toujours, et peu à peu nous gagnions du terrain. Déjà nous convoitions un vieux kanguroo, le dernier de la bande, lorsque tout à coup miss F…, la plus légère et la mieux montée, par conséquent la première des poursuivants, cria grâce et pitié pour lui. C’était une femelle qui, commençant à se fatiguer, venait de jeter un de ses petits de sa poche, et celui-ci sautait péniblement après sa mère. Heureusement, Lloyd et Guillaume, qui étaient auprès de miss F…, enfonçant leurs éperons dans les flancs de leurs chevaux, arrivèrent en même temps que les chiens : Guillaume les contint de la voix en les écartant avec son fouet, et bientôt nous atteignîmes tous la pauvre petite bête, qui ne pouvait courir bien loin.

Nos amazones voulaient lui faire grâce entière et la laisser là pour que sa mère pût la retrouver, mais il n’y eut pas moyen de nous faire entendre raison. Acland la prit dans ses bras et remonta à cheval, déclarant qu’il l’emporterait à Melbourne, et que ce serait une charmante acquisition pour le jardin de Fairlie-House.

D’autres fois nous fûmes plus heureux, et nous forçâmes plusieurs gros kanguroos qui livrèrent bataille à nos chiens. Le kanguroo au départ est plus vite que les chiens ; mais, si vous ne le perdez pas de vue pendant le premier mille, il commence bientôt à se fatiguer, et vous êtes certain de l’atteindra à la fin du second. Lorsqu’il est forcé, il s’arrête, s’assied et attend les chiens. Ceux-ci ne l’attaquent que par derrière, car il pourrait les éventrer d’un coup d’une de ses longues pattes, formées de trois doigts seulement, celui du milieu plus long que les autres et armé d’une sorte de corne formidable. Mais, comme ces pattes qui lui servent de défense sont en même temps celles sur lesquelles il est assis, le kanguroo n’est pas bien agile et ne peut faire face à un ennemi adroit comme le chien, qui le saisit à la nuque et l’étrangle.

Nos visiteuses n’aimaient plus cette chasse depuis l’incident de notre première course ; elles ne la suivaient plus que de loin, et l’animal était toujours mort lorsqu’elles arrivaient.

Cependant, dix jours s’étaient écoulés, et le colonel nous avait fait promettre de lui ramener sa famille au bout de ce temps-là. Du reste, les pluies d’automne commençaient ; nous reconduisîmes les dames à Fairlie-House et à Melbourne.


Une station à vendre. — Dalry. — Nous passons la rivière avec nos chevaux sur un tronc d’arbre. — Préliminaires d’achat. — Une course dans la montagne. — Arbres. — Fougères. — Les arbres morts.

(M. de Castella, comme on le voit, n’est pas d’un caractère mélancolique. La vie australienne ne lui était point désagréable ; mais, si heureux qu’il fût dans la maison de son frère, il lui tardait d’entrer pour son propre compte dans la vie active, et il apprit un jour, avec joie, qu’une station attenante à celle d’Yéring allait être mise en vente.)