Page:Le Tour du monde - 01.djvu/399

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vierge, c’est-à-dire avec la robe bleue et le grand voile blanc, traînant ou portant des enfants nus, tout ce petit peuple a une physionomie des plus caractérisées, et m’a profondément intéressé.

Revenu à Jérusalem, en passant par la Géhenne, la Fontaine de Siloé, la vallée de Josaphat, le tombeau d’Absalon, et rentré par la porte Saint-Étienne. — Tout cela est resserré dans de très-petits espaces, mais ne perd rien du caractère qu’on peut s’en figurer. La grandeur n’est pas dans le démesuré, et les plus beaux monuments que j’ai visités en Grèce ou ailleurs sont tous petits. Ils sont plus près de l’homme. Ce sont les Romains et les barbares qui ont inventé les dimensions colossales.

17. — Travaillé le matin. Dans l’après-midi, je retourne au Saint-Sépulcre. Le soir, je vais dîner avec M. le consul au campement du pacha sur le mont de l’Ascension. Le repas est servi sur un tapis et sous un groupe d’oliviers. La soirée est superbe et le dîner très-cordial. Nous restons tard à regarder Jérusalem, au clair d’une lune éclatante. Ce spectacle est plein de solennité. Comme c’est demain vendredi, les derviches chantent dans la mosquée d’Omar et leurs clameurs, qui de près nous eussent assourdis, animent à cette distance ces vieilles murailles et ont un charme particulier. Ils vont chanter ainsi toute la nuit.

18. — Dessiné. Dans la soirée, je vais revoir mes pauvres juifs au pied de leur mur. Dîné chez M. le consul général d’Autriche.

19. — M. le consul de France vient me réveiller et m’annoncer que le pacha a donné ses ordres pour ma visite à la mosquée d’Omar. Nous nous rendons au sérail, séjour du gouverneur, où nous attend le cheik de la mosquée. Après avoir mis des babouches neuves, suivi et escorté d’un grand nombre de cawas, de mon drogman et de celui du consulat, j’entre enfin dans la redoutable enceinte. Le temple est merveilleux, tant par la richesse des matériaux, que par l’élégance et la variété de l’ornementation. Jamais je ne vis un lieu plus propre à la prière sans en excepter Sainte-Sophie et Saint-Marc. Le jour qui tombe des vitraux est mystérieux, et l’œil, ébloui tout à l’heure du soleil tombant sur les dalles blanches du parvis, a de la peine à supporter cette obscurité religieuse. L’édifice est du plus pur byzantin, c’est-à-dire ce qu’il y a de mieux approprié à un lieu de prière. Le gothique est plus élégant peut-être ; mais, à coup sûr, moins imposant. Le cheik me montre le fameux rocher suspendu, qui est, dit-on, l’autel des holocaustes, et qui repose fort solidement sur une construction souterraine que je visite. J’ai réveillé, en descendant dans ce caveau, deux Indiens fanatiques qui me font des yeux blancs et qui semblent stupéfaits de voir là un chrétien. — Visite à la mosquée d’El Aqsa. Souterrains situés sous le temple de Salomon. J’y dessine deux colonnes, l’une remonte certainement à ce roi magnifique. C’est peut-être la seule ornementation qui reste de l’époque hébraïque (voy. p. 405 et 406). Ces constructions sont gigantesques. — Entré dans la mosquée même, dont la voûte est splendide. — Lieu où Omar fit sa première prière, lorsqu’il se fut emparé de Jérusalem, n’ayant pas voulu la faire au Saint-Sépulcre qui fût devenu, par cela seul, une mosquée. Ce conquérant barbare avait pour la religion des vaincus une déférence que n’eurent pas toujours des conquérants plus civilisés. Ce temple, auparavant l’église de la Présentation, n’a pas perdu, je pense, pour passer dans les mains des infidèles, car il est plein de détails charmants. — La porte dorée, par où Jésus-Christ entra à Jérusalem ; les constructions premières datent de Salomon, l’ornementation des colonnes et des pilastres est du temps d’Hérode. C’est de l’acanthe aiguë. Ce portique est très-majestueux. — Rentré au sérail. Remercié avec effusion le pacha. La permission de visiter la mosquée d’Omar ne s’accorde que bien rarement, et je ne dois cette faveur qu’aux excellentes relations de notre consul avec le gouverneur. Pendant toute la visite, ces deux personnages regardaient par une fenêtre du sérail donnant sur le parvis ; car on n’est pas sans crainte en voyant un chrétien s’engager dans des lieux si redoutables. Grâce à Dieu, tout s’est bien passé. — Vers le soir, je sors seul par la porte de Jaffa, et je vais faire mon kieff, c’est-à-dire prendre du café et fumer un narghilé, dans un kiosque hors des murs. Cette heure est délicieuse. Je rentre en ville par la porte de Damas.

20. — Je travaille encore. Puis j’erre par la ville qui, malgré sa tristesse, a un grand attrait pour moi ; je rencontre parfois, au milieu de ce pauvre peuple, des têtes d’une beauté incomparable, je parle des têtes d’hommes, car les femmes sont toutes voilées, quelle que soit leur religion. Ce genre de beauté m’arrête court au milieu de la rue, frappé d’admiration et presque de respect. Tant de splendeur à côté de tant d’objets de dégoûts ! Tant de grandeur sous tant de misère !

21. — Visite au couvent arménien dont l’église est très-riche en ornementations d’un style étrange. C’est là qu’a eu lieu la décollation de saint Jean-Baptiste. — Je vais faire mes adieux à M. le consul et à son chancelier, car je quitte aujourd’hui même Jérusalem. — Voilà donc mon pèlerinage terminé. Je ne sais encore qu’en dire. La curiosité satisfaite est tout ce qui domine en ce moment. Je me suis plu à Jérusalem.

Bida.