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bon matin, ainsi que les noukers avec leurs chiens. Nous montâmes à cheval et nous partîmes. La campagne commençait à se montrer moins dévastée que de Bakou à Schamaki ; de grands arbres apparaissaient de place en place, et on voyait dans le lointain apparaître des forêts. Nous arrivâmes à l’endroit où nous devions chasser ; quelques Tatars nous y avaient devancés avec des chiens.

Vue générale de Schamaki. — Dessin de Moynet.

Je m’étais approché des faucons pour examiner leur costume de chasse, qui était plein de fantaisie. Sur le capuchon en cuir qui recouvrait leur tête, était fixée une petite tige en métal qui retenait quelques plumes de différentes couleurs, tandis que des houppes de soie descendaient le long de cette coiffure de la façon la plus coquette. J’avais, depuis Astrakan, admiré plus d’une fois la manière pittoresque dont chaque chasseur se plaît à orner son faucon favori ; mais plus nous avancions vers la Géorgie, plus ces petits détails devenaient élégants. Il en était de même des ornements que portaient les chevaux. C’est qu’au farouche Tatar du Daghestan, au Lesghien du versant méridional du Caucase se mêlaient déjà le Persan, l’ancien possesseur du pays, le commerçant arménien, et enfin le Géorgien grand seigneur dont le beau profil nous surprenait à chaque instant.

Rien de plus intéressant que la chasse au faucon. Dès que l’oiseau se sent débarrassé de son capuchon, il part comme un trait et fond sur sa proie. D’un seul coup d’œil il a embrassé le steppe et reconnu l’ennemi dont il doit se saisir. Aucun danger ne l’arrête. Il fond sur une troupe d’oies sauvages ou d’outardes, s’attache à celle qu’il a choisie, malgré les cris et les coups de bec de toute la troupe, et se faisant un rempart des ailes mêmes de sa victime, attend que son maître vienne à son secours. Celui-ci, en effet, arrive au galop, en frappant sur un petit tambour attaché à sa selle, met en fuite les oies, et délivre le faucon auquel il donne immédiatement la cervelle du gibier qu’il a tué. C’est la part de l’oiseau, qui ne lâcherait pas prise s’il ne l’obtenait.

Nous fîmes une razzia de faisans, grâce à l’intrépidité et à l’adresse de nos faucons : je regrettais de ne leur donner pour récompense de leurs exploits et du plaisir qu’ils nous avaient procuré, que quelques morceaux de viande crue.

Après avoir tué aussi quelques lièvres, nous quittâmes nos chasseurs et reprîmes notre chemin, abondamment pourvus de provisions. Nous n’avions pas à craindre la famine jusqu’à Noukha. Il est positif qu’un voyageur inexpérimenté, qui n’aurait pas recours aux ressources de la chasse, courrait risque de souffrir de la faim. La plupart des maisons de couronne et des stations n’ont pour tout approvisionnement que de l’eau et du feu. Je veux parler d’un voyageur européen, qui est habitué à se nourrir et qui regarde un morceau de pain comme un objet de première nécessité. Il n’en est pas de même du Russe ou de l’indigène, qui sont d’une sobriété telle que, dans les plus