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prendre un jour qu’ils eussent tenté ce voyage avec Hans pour chef. Ce fut par la douce lumière d’un dimanche soir, après avoir halé à grand-peine nos bateaux à travers les hummocks, que nous nous trouvâmes devant la mer libre et ouverte. Avant minuit, nous avions lancé Éric-le-Rouge, poussé trois hourras en faveur du retour et déployé tous nos pavillons.

MeGary, Petersen, Dickey, Stephenson, Whipple et moi nous étions dans la Foi ; Brooks était à bord de l’Espérance avec Hayes, Sontag, Morton, Blake et Goodfellow ; l’équipage de l’Éric se composait de Bonsall, Riley et Godefroy.

Mais nous ne devions pas partir encore ; la tempête qui se préparait depuis longtemps poussait avec violence la mer contre la glace qui nous abritait et nous obligeait à nous retirer à mesure qu’elle brisait ce rempart. La mer devint de plus en plus furieuse ; il fallut nous éloigner plus encore et nous reculer pas à pas devant la glace, qui éclatait, soulevée par les flots. Il nous faut abandonner tout espoir de nous embarquer. Nous traînons nos embarcations à environ un mille de la mer, sous un grand iceberg, emprisonné au milieu d’une plaine de glace.

La tempête nous poursuit même jusque-là ; toute la nuit il vente d’une manière épouvantable, et notre asile, l’iceberg, disparaît au milieu de la glace brisée en éclats. De nouveau nous devons haler les embarcations, et nous ne nous arrêtons que près d’un autre iceberg, sur les pentes inclinées duquel je savais que nous trouverions un abri au cas où viendraient à se soulever des lames de fond qui nous eussent été fatales. La plaine de glace tout entière craquait, et nous la sentions se mouvoir sous nos pieds.

Types esquimaux. — Dessin de Valentin d’après Kane.

Il est heureux que je ne me sois pas rendu au désir qu’avaient mes hommes de prendre la mer : nous eussions été emportés par la tempête sans aucune chance de salut.

La tourmente cessa enfin, la mer redevint aussi calme que s’il n’y avait pas eu d’orage, et, le mardi 19 juillet au matin, nos trois embarcations se mirent en route. Le vent fraîchit au moment où elles doublaient la pointe ouest du cap Alexandre ; nous tâchâmes d’aborder à l’île de Sutherland, mais une ceinture de banquises escarpées nous fit renoncer à notre projet ; nous nous dirigeâmes vers Hakluyt ; ce fut un rude passage : la mer était courte, poussée par un vent de sud-est ; elle emplit d’eau la Foi, l’Éric-le-Rouge coula bas et ce fut à grand-peine que nous pûmes le prendre à la remorque. Le vent tournait à l’ouest. Avec nos embarcations nous ne pouvions songer à faire face au temps. Je jetai un regard rapide autour de moi, et, profitant de l’expérience acquise dans la précédente expédition à l’île Becchey, nous nous engageâmes dans un chenal ouvert au milieu des flocs rompus. Tantôt avançant a l’aide de nos gaffes, tantôt faisant glisser nos embarcations sur la glace, nous atteignîmes l’île de Hakluyt.

Malgré des barrières de glace presque aussi abruptes que celles de la veille, nous réussîmes à mettre nos canots à terre. Il neigea toute la nuit. On fit une tente pour les malades, et à notre repas de poussière de pain et de suif nous pûmes joindre quelques oiseaux.

Le 22 au matin nous poussâmes en avant à travers une tempête de neige et gagnâmes l’île de Northumberland.

Une petite surface de mer, débarrassée de glaces, conduisit nos canots jusqu’au rivage sous d’immenses glaciers qui surplombaient : c’était d’un aspect émouvant ; on eût dit que, bouillonnant dans une immense chaudière de roches, la glace vomissait d’immenses blocs