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pas jusqu’à Kazeh, ville en partie arabe d’où partent plusieurs routes de caravanes dans diverses directions : et comme M. Burton était très-souffrant malgré sa constitution athlétique, son compagnon se dirigea seul vers le nord, à la recherche du lac Ukereoné, d’où il supposait que sortait le Nil. Il traversa un pays ondulé, arriva au bord d’une rivière qu’il descendit, puis d’une baie en forme de gaine de poignard, semée de petites îles qu’en souvenir de sa carrière militaire il appela provisoirement Archipel du Bengale : enfin il longea les rives méridionales du lac en se dirigeant au levant et remonta successivement une ville (Mbanza) et quelques villages. Malheureusement il ne put se procurer d’embarcation, et dut renoncer à voir de ses yeux l’extrémité nord du lac : il y suppléa tant bien que mal au moyen de notes recueillies de la bouche des caravanistes, car les marchands arabes vont, en tournant le lac au nord-ouest, jusqu’à une ville de Kibuyu, au nord de l’équateur, en traversant deux grosses rivières qui viennent s’y jeter. Il apprit donc de ces gens que le lac se rétrécit au nord et forme un canal par où s’échappe une rivière appelée Kivira, qui coule vers le pays des Baris à travers une contrée fort inégale. Or, d’autre part, les voyageurs qui ont remonté le Fleuve-Blanc sont arrivés jusqu’à Garbo, sous le 4° de latitude nord. D’après les dimensions que les indigènes donnent au lac Ukereoné, sa pointe nord serait à peu près sous la 2e  parallèle : il n’y aurait donc que deux degrés (55 lieues) à parcourir entre le lac et Garbo pour résoudre ce problème si cherché des sources du Nil, recherche qui était chez les anciens le synonyme proverbial de l’impossible : Fontes Nili quærere !

Nous donnerons plus tard le récit de ce beau voyage envisagé par ses côtés dramatiques et pittoresques, nous bornant aujourd’hui à mettre sous les yeux du lecteur les résultats généraux d’une découverte qui change à fond la géographie d’une partie de l’Afrique équatoriale.

Un missionnaire sarde, qui est établi chez les Gellas au sud du fleuve Jub, le P. Léon des Avanchers, nous a donné d’après les dires des indigènes des lumières précieuses sur un autre lac jusqu’ici inconnu et qui pourrait bien être la source tant cherchés du grand fleuve.

Dans le pays des Borren est une haute montagne appelée Tertale, aux environs de laquelle sont des puits de sel natron, que les gens du pays mélangent avec du tabac. Le plus important paraît être celui de Magad, à l’est et au pied du mont.

À une journée du Tertale, on arrive à un plateau cerné par de hautes montagnes, de manière à former un bassin en forme de cratère, dont le fond est occupé par le lac Bôô. « J’ai vu, dit M. des Avanchers, des Sancheli qui se sont rendus plusieurs fois en cet endroit. Hadji-Abd-el-Nour m’a dit qu’il fallait cinq jours pour le contourner. Il en sort un grand cours d’eau qui va se jeter dans le Nil, et les habitants affirment que l’on peut aller de là en bateau jusqu’à Masser (Masr-l’Égypte).

« Les environs du lac sont habités par les Rendile Gallas qui sont de couleur rougeâtre, portent de longs cheveux et ont de nombreux troupeaux… Le lac Bôô est entouré par de très-hautes montagnes coniques dont les pics sont couverts par des neiges. Elles portent les noms d’Anko, Souk, Abaio-Dertou, Ferlito-Mérélé, Meroudadi et Soukou : ces trois dernières n’ont pas de neiges. »

M. des Avanchers suppose que le lac Bôô est le lac Abbola des autres voyageurs, mais la confusion n’est pas possible, l’Abbola était le lac figuré sur notre carte à l’est du pays de Kaffas bien plus au nord. Sa position précise est difficile à déterminer ; on a les distances de ce point à plusieurs points également vagues, sauf un ou deux, comme Ganassa sur le Jub, dont la situation est connue et qui est à vingt journées du Bôô. Maintenant, si la navigation du Tubire devient si difficile à quelques journées au sud de Belevia, comme on peut le voir dans Brun-Rollet, si d’autre part ou peut aller en bateau du Bôô jusqu’en Égypte, comme l’affirment les noirs, ne peut-on en conclure qu’il y a là une nouvelle direction à étudier ?

G. Lejean.




BIOGRAPHIE.

KARL RITTER.


L’année 1859 a vu mourir, à Berlin, les deux hommes dont les écrits ont exercé, depuis le commencement du siècle, la plus légitime et la plus heureuse influence sur les études qui ont pour but la connaissance de notre globe. Le 28 septembre dernier, Karl Ritter a suivi Alexandre de Humboldt, mort le 6 mai précédent. Personne n’ignore quelle a été la carrière scientifique de M. de Humboldt. Ses travaux ont laissé des traces profondes, non-seulement dans la géographie et dans les sciences naturelles, mais même dans la littérature du vieux et du nouveau monde. Pour être moins vulgarisées que celles de son illustre compatriote, les œuvres de Karl Ritter ne sont pas moins dignes du respect de ses contemporains. Si la simple qualification de géographe reste, dans l’avenir, attachée à son nom, ce sera, du moins avec un lustre philosophique et littéraire qu’elle n’avait pas eu depuis les jours de Strabon. Tous les écrits de Ritter, depuis le moindre de ses mémoires à l’Académie de Berlin jusqu’aux vingt volumes ayant pour titre : Étude de la terre dans ses rapports avec la nature et l’histoire[1], portent l’empreinte vigoureuse d’un génie syn-

  1. Die Erdkunde im Verhältniss zur Natur und Geschichte des Menschen.