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autrefois formé un barrage naturel. La température de cette eau était d’environ 106° (41°,11 centigrade) ; elle s’amassait dans un large enfoncement au-dessous du rocher, où elle formait un délicieux bain naturel. À quelque distance de celle-ci, nous visitâmes une autre source dans laquelle le thermomètre monta de 2° plus haut, et qui se précipite, comme la première, du sommet d’une masse remarquable de roches de nature de brèche, dont la surface, richement nuancée, offrait le plus bel aspect. Les indigènes prétendent que les eaux exhalent parfois une odeur désagréable ; mais nous n’eûmes pas lieu de le remarquer pendant tout le temps de notre séjour.

« Na-seivau était autrefois renommé pour ses cocotiers ; mais ils ont été détruits, aussi bien que l’arbre à pain et autres bois de première utilité par les guerriers ennemis, selon la coutume des Vitiens. La tribu de Na-seivau était constamment en guerre avec les gens de Namasi, et les ossements très-soigneusement dépouillés de ceux de ces derniers qui succombaient, furent longtemps suspendus en signe de victoire aux arbres qui entourent la ville. Mais les Namasi surprirent le village dans une rencontre heureuse, et après avoir enlevé les restes de leurs frères pour les ensevelir, ruinèrent à demi Na-seivau. Du reste dans les districts de l’intérieur, on ne rencontre ni cocotier ni arbre à pain, et cela, dit-on, ne tient pas à l’indolence des habitants, mais à leur ignorance presque complète de l’emploi de ces arbres. L’igname n’y est pas non plus cultivée en aussi grande quantité que sur la côte.

« Il n’y avait pas plus de deux mois que Kura-Nduanda, le chef de Namasi, ayant réuni ses hommes, était venu pour attaquer une ville rebelle, et, pour cette expédition, il avait réclamé et obtenu l’alliance des gens de Salaira. L’armée alliée se porta à l’attaque de la ville ; mais, sauf les invulnérables de Salaira, pas un des assaillants n’osa s’avancer à portée de la mousqueterie. Les invulnérables cependant marchèrent hardiment d’abord ; mais l’un d’eux ayant été frappé à la tête par une balle, toute l’armée, consistant en quelques centaines d’hommes, s’enfuit ignominieusement.

« Les invulnérables (vaka-thuru-kalou-vatou) dont je viens de parler, sont des individus qui, dans la conviction qu’ils sont inspirés par quelque divinité et rendus par son influence inaccessibles aux coups de la lance et à l’atteinte des balles, ont la réputation d’accomplir les actes les plus hardis et de ranger ainsi la victoire de leur côté. Avant l’introduction des armes à feu dans l’archipel, ces guerriers étaient en effet fameux par leur indomptable courage ; mais l’habile emploi du mousquet a singulièrement refroidi leur ardeur. Parmi les démentis qu’a ainsi reçus la superstition des Vitiens, nous citerons ce qui s’est passé à Kasuru. Les invulnérables dirigeaient l’assaut et marchaient bravement à la tête des guerriers, quand une balle traversant le large éventail qu’on porte en ces occasions comme une sorte de bouclier, frappa le premier invulnérable, et sept autres tombèrent morts successivement dans la tentative d’escalade. Les chefs furent tellement irrités de cette déconvenue, qu’ils voulaient assommer le prêtre qui, en désignant ces hommes comme invulnérables, avait trompé le peuple. La fuite heureusement sauva le malencontreux prophète.

« Les racines du kaili, sorte de plante rampante, sont employées comme articles d’alimentation par les gens de Sulaira. La racine est d’abord bouillie, puis pelée, raclée, écrasée, trempée dans l’eau et bouillie de nouveau. Elles renferment, assure-t-on, dans leur état primitif, un principe amer et probablement vénéneux qui exige ces préparations avant qu’on puisse en faire impunément usage. »


VIII


Encore le cannibalisme. — Arrivée à l’extrémité du bassin de la Rewa. — Retour vers la mer.


Peu de jours avant notre passage, un grand canot de Navua, mis à l’eau pour la première fois, fut attaqué par une flottille d’embarcations de Serua ; on lui tua un homme, qui tomba par-dessus bord. Les embarcations de Serua se dispersèrent ensuite, et le canot, à son retour, mit à terre un détachement qui devait chercher à surprendre l’ennemi : ce détachement tomba sur une bande de sept individus, deux s’échappèrent, on en tua quatre, et on fit un prisonnier. Ce malheureux fut presque aussitôt jeté, vivant, dans un immense chaudron, après que Koro-Nduandua lui eut adressé quelques paroles pour lui expliquer qu’ayant méchamment mis en pièces un de ses sujets, il devait être puni comme il le méritait. On mangea la plus grande partie des morts à Navua ; on distribua cependant une partie de cette abominable nourriture aux sujets montagnards du chef.

« Le 30 au matin, après quelques pourparlers avec le chef Na-Ulu-Matua, on apporta à notre mbure un genou humain, déjà cuit et provenant du cadavre dont nous venons de parler. Une incision pratiquée sur le côté avait permis d’enlever les os ; le tout était soigneusement enveloppé dans des feuilles de bananes, de façon à ce qu’on pût le faire réchauffer chaque jour, opération nécessaire à la conservation. C’est le seul, des six paquets de chair humaine envoyés à Namasi, que nous ayons pu voir.

« M. Waterhouse parla très-éloquemment au chef, en cette occasion, lui montrant tous les maux qui résultent du cannibalisme : le sauvage était fort honteux de lui-même, on ne pouvait en douter ; mais ce que je vis tout aussi clairement, c’est que s’il désirait tâter de ce morceau friand, nous avions bien peu de chances de le lui voir manger ; pour moi, je fus convaincu et ne désirai pas avoir d’autre preuve de visu, du cannibalisme aux Vitis.

« Autre trait des mœurs locales. À notre arrivée à Namasi, nous apprîmes qu’un jeune homme encore imberbe, s’était enfui avec sa tante, la femme d’un petit chef. Après avoir passé quelques jours dans les bois, ils se hasardèrent à entrer dans une ville près de Namasi ; mais malheureusement pour eux, le frère de la femme se trouvait là ; furieux, il lève sa massue pour assommer sa sœur, qui le prie de l’étrangler. Cette requête fut