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gouverneur de Nangasaki, dans une superbe jonque de plaisance, ornée de banderoles et de bannières, et remorquée par une douzaine de bateaux, vient à bord prendre congé de l’ambassadeur. Nous comptions trouver au large de très-grandes brises vent arrière, nous rencontrons le calme. Néanmoins, à la fin du troisième jour, nous revoyons Woosung et les rives du Whampou, et, après sept semaines d’absence, nous venons mouiller derechef devant la partie du quai de Shang-haï qui borde la concession française.


Mœurs, coutumes, gouvernement du Japon.


Les Japonais, aussi blancs que nous, repoussent toute communauté d’origine avec les Chinois. Leur civilisation, identique, en certains points, avec la civilisation chinoise, s’en éloigne grandement sur beaucoup d’autres. Sans doute, les caractères de l’écriture sont les mêmes ; le culte de Bouddha et celui de Confucius existent également dans les deux pays ; au Japon comme en Chine, les mêmes pagodes s’élèvent, desservies par les mêmes bonzes, à la tête rasée et à la longue robe grise ; le système des jonques est analogue ; le riz et le poisson, le thé et l’eau-de-vie de riz forment la principale nourriture du peuple à Yédo comme à Canton ; les coolies japonais, portant leurs fardeaux, font retentir les rues de Nangasaki des mêmes cris aigus et cadencés que les coolies de Shang-haï, portant au bâtiment européen des balles de thé et de soie ; la littérature de l’archipel n’est point nationale et est entièrement chinoise ; la coiffure des Japonais rappelle celle des Chinois des anciennes dynasties, antérieure au port de la queue. Mais la s’arrêtent les ressemblances. La race japonaise, noble et fière, toute militaire et féodale, diffère essentiellement de la race chinoise, humble et rusée, dédaignant l’art de la guerre, et n’ayant d’attrait que pour le commerce. Le Japonais connaît le point d’honneur ; lui enlever son sabre est une insulte, et, dans ce cas, il ne peut être remis dans le fourreau qu’après avoir été trempé dans le sang. Le Chinois se met à rire quand on lui reproche d’avoir fui devant l’ennemi, ou qu’on lui prouve qu’il a menti : ce sont pour lui choses indifférentes. La race chinoise est d’une saleté dégoûtante, la race japonaise est d’une merveilleuse propreté. Le Japonais est d’un naturel enjoué, intelligent, avide d’apprendre ; le Chinois méprise tout ce qui n’est point de son pays. Tout dénote donc dans l’habitant du Nipon une race supérieure à celle qui peuple la Chine ; et l’on peut raisonnablement admettre que les Japonais appartiennent à la grande famille mongole, et doivent leur origine à une émigration ancienne venue par la Corée.

Les Chinois considèrent le Japon comme un pays tributaire de l’Empire du Milieu. Cependant, à Nangasaki, ils ne peuvent pas sortir de l’enceinte de leur factorerie, close d’une forte palissade ; et, à Yédo, nous avons été obligés de ne plus laisser nos domestiques chinois descendre à terre, tant, à cause de leur costume et de leur queue, ils étaient un objet de plaisanteries de la part des indigènes.

Les Japonais, dans le langage ordinaire, appellent leur pays Nipon, et, dans le langage poétique, empire du soleil levant. Leur archipel se compose de quatre grandes îles et d’une foule de petites. Les quatre grandes îles sont Yédo, Nipon, Sikok, et Kiousiou. Nipon, la plus considérable, renferme les trois grandes capitales politique, religieuse et commerciale du Japon, à savoir Yédo, résidence du taïcoun, Méako, résidence du mikado, et Oosaka, résidence du haut commerce. L’empire du taïcoun s’étend, en y comprenant le groupe des Bonin et celui des Liou-tchou, sur plus de trois mille huit cents îles ou îlots. Cet archipel est chaque année le théâtre de violents tremblements de terre ; aussi, toutes les maisons sont-elles en bois et à un seul étage. Cependant, à Yédo, les murs des différentes enceintes et les portes sont de construction cyclopéenne, et se composent d’énormes blocs de pierres non taillées, et ajustées les unes dans les autres. Plusieurs volcans sont encore en ébullition. Le Fusi-Yama, la plus haute montagne du Japon, est élevé de trois mille sept cent quatre-vingt-treize mètres au-dessus du niveau de la mer. Il n’est pas, quoi qu’on en ait dit, couvert de neiges éternelles : car, quand nous l’avons vu, il n’en restait plus ; les chaleurs de l’été les avaient fait fondre. De redoutables typhons viennent, chaque été, bouleverser ces mers, qui sont les plus orageuses du globe. Aussi, saint François-Xavier disait que, de son temps, sur trois navires allant au Japon, il était rare qu’on en vît revenir un. Le coup de vent de l’équinoxe d’automne se fait particulièrement sentir dans ces parages. Il est de règle, parmi les jonques japonaises, de rester au mouillage, dans toutes les criques de la côte, du 5 au 25 septembre. Le 26, on les voit toutes sortir à la fois ; la baie de Yédo et toute la mer en sont couvertes. Nous avons été témoins de ce spectacle.

Le climat de la Chine, chaud et humide, est malsain ; celui du Japon, froid au nord, chaud au midi, mais toujours sec, est au contraire très-sain. D’après les Hollandais, il ferait presque aussi chaud dans l’île de Kiousiou qu’à Java durant les chaleurs ; mais, en hiver, il y a de la neige. Le port de Hakodadi, ouvert au commerce, sera salutaire pour nos équipages en station dans les mers de Chine : épuisés par les insupportables chaleurs de la mousson de sud-ouest, ils viendront se retremper et reprendre de nouvelles forces dans les glaces de l’île d’Yéso.

Il ne faut que trois jours, par un beau temps, pour aller de Shang-haï à Nangasaki, et huit jours pour se rendre de la côte de Chine à Yédo. Cependant le commerce actuel du Céleste-Empire avec le Japon est presque nul, l’archipel ayant été jusqu’ici aussi soigneusement fermé aux Chinois qu’aux autres peuples. C’est à peine si quatre ou cinq jonques de commerce viennent mouiller chaque année à Nangasaki. La soie japonaise, très-abondante, est moins fine que celle de la Chine ; le thé, au Japon, est bien inférieur comme saveur, il a même un peu d’âcreté ; mais l’amour-propre national le fait trouver bien supérieur à celui du continent. Il est donc peu importé. En revanche, les médicaments sont d’un prix