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nous dirigeons, par une belle nuit, jusqu’aux émanations de naphte qu’on devine de suite à leur odeur. Un des matelots, muni de bon nombre d’étoupes, en allume quelques-unes et les jette à la mer, à un endroit où elle semble bouillonner ; à l’instant même, toute la surface de la mer s’enflamme sur une étendue d’une quarantaine de mètres. Nous allons plus loin répéter la même expérience, et l’incendie se propage ; nous nous promenons sur un océan de feu. Quels décors ! quelle féerie ! Il faut enfin nous éloigner ; derrière nous brillent toujours les feux, et ils brûleront jusqu’à ce qu’un vent impétueux vienne les éteindre, ce qui peut se faire attendre quinze jours et même un mois.

Après les feux, nous avons encore à admirer l’ancien palais des kans, belle ruine persane dont les portes sont plus ouvragées que nos plus riches dentelles ; c’est une page des Mille et une Nuits.

À l’extrémité du cap de l’Apchéron, se trouve une île appelée Sviatoï (île sainte), parce que, comme Bakou, elle a des puits de naphte.

Vue de Bakou (Russie d’Asie). — Dessin de M. Moynet.

Autour de la ville, sur le bord de la mer, on a creusé des puits, dont la profondeur varie de cinq à vingt mètres, à travers une marne argileuse, imbibée de naphte. La plus grande quantité donne du naphte noir, quinze donnent du naphte blanc.

On n’approche jamais du feu de ces puits en exploitation ; ils s’enflammeraient, et on ne pourrait les éteindre.

J’en ai vu un immense, qu’un accident a enflammé au commencement de ce siècle ; il brûle encore.

Plusieurs se sont enflammés sans cause connue.

Le naphte est léger et transparent quand on l’épure ; les outres qui servent à transporter le vin en sont enduites ; les Tatares, qui ont horreur de la graisse de porc, se servent aussi du naphte pour graisser les roues de leurs chariots. C’est un progrès. Autrefois les Tatares étaient tout fiers de l’insupportable bruit que faisaient les deux roues de leur charrette (arba). « On nous entend de loin, disaient-ils, nous sommes d’honnêtes gens : nous n’avons pas besoin de silence, et nous ne voulons pas glisser sur les routes comme des voleurs[1]. »

E. Moynet.
  1. Klaproth.