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MORT DU VOYAGEUR AD. SGHLAGINTWEIT
DANS LE TURKESTAN (1857)[1]


Au mois d’avril 1859, trois frères, nés en Bavière, MM. Adolphe, Hermann et Robert Schlagintweit, ont obtenu le prix décerné par la Société de géographie de Paris pour la découverte géographique la plus importante pendant l’année 1856[2].

À cette époque, on savait déjà que l’un des trois frères, Adolphe, avait été assassiné à Kashgar, dans le Turkestan chinois, mais on n’avait aucun détail sur ce tragique événement : on croit en connaître aujourd’hui les principales circonstances : c’est la pieuse sollicitude de MM. Robert et Hermann qui, à l’aide de nombreuses correspondances, a recueilli ces renseignements dans le fond de l’Asie, et nous croyons qu’on les lira avec intérêt, non-seulement à cause de la sympathie qui s’attache naturellement à la mémoire de la victime, mais encore parce qu’ils constatent l’état d’anarchie barbare et permanent des provinces frontières du Turkestan et de la Chine.

À la fin de l’année 1856, les trois frères étaient dans le Pendjab[3]. Ce fut là que MM. Robert et Hermann, résolus à rentrer en Europe, virent pour la dernière fois leur frère Adolphe, qui se proposait de séjourner encore une année en Asie, afin d’explorer plusieurs parties inconnues du Turkestan et du Tibet.

Le 13 décembre 1856, Adolphe Schlagintweit quitta Rawoull-Poundi. Le 16, il était à Attack, et le 30 janvier 1857, à Peshawer, où il engagea divers individus à son service. Il traversa ensuite successivement Kohat, Kalabagh, Mousakehl, Dera-Ismaël-Khan.

En mars, il séjourna du 9 au 20 à Lahore, et il s’y pourvut d’une partie des choses nécessaires à son voyage. De là il se rendit à Kangra, et le 5 mai à Soultampour où il avait donné rendez-vous au chef de ses guides. Du 15 au 26 mai, il séjourna à Kardong (Lahore) ; il y acheta soixante chevaux et des provisions.

Ce fut alors que commença réellement son voyage.

Le 31 mai 1857, il passa de l’Inde au Tibet par le col de Bara-Lacha, entre Dorché dans le Lahore et Roupchou dans le Ladak.

Il était déguisé en marchand indien. Il avait avec lui plusieurs guides, de nombreux domestiques, quelques-uns armés, et, outre les chevaux, des yaks chargés des provisions, des tentes et des marchandises, soieries, tapis, vêtements, destinés à servir aux échanges ou à être donnés en présent ; enfin un troupeau de bétail, moutons, chèvres, etc. : précautions nécessaires pour la traversée des contrées désertes et sans route tracée où allait s’engager la caravane.

Le chef des guides était un vieux Turkistani, nommé Mohammed-Amin que les frères Schlagintweit avaient déjà employé dans leur exploration du Turkestan. Ils n’avaient eu qu’à se louer de son intelligence et de sa probité.

Un homme né à Yarkand, Mourad, surnommé Youdi, c’est-à-dire le Juif, était attaché particulièrement à la personne de Mohammed-Amin. Parmi les autres serviteurs, les plus intelligents étaient une sorte de secrétaire, Mohammed-Hassan, et un khansama ou maître d’hôtel, nommé Ghost-Mohammed.

Arrivé à Roupchou, au delà du col de Bara-Lacha, Adolphe Schlagintweit avait eu à choisir entre deux directions, l’une au nord-ouest vers Leh, l’autre au nord vers Aksae-Chin. Le voyageur préféra la direction du nord.

Il s’arrêta quelque temps à Changchemmo, situé à l’extrémité nord-est du Ladak. La dernière lettre que l’on ait reçue de lui est daté de cet endroit : il écrivait le 24 juin (1857) : « Je suis tout à fait bien : maintenant toutes choses, j’espère, vont aller à souhait. »

La caravane passa, le 9 juillet, non sans beaucoup souffrir de la fatigue et du froid, la chaîne du Karakorum qu’Adolphe Schlagintweit connaissait déjà en partie. Il l’avait explorée avec ses frères. Ces voyageurs sont les premiers qui aient déterminé exactement la position, la direction et les dimensions des deux chaînes du Karakorum et du Kuen-Lun. Avant eux on les confondait en une seule. Le Kuen-Lun, qui est de beaucoup le moins étendu, forme une ligne presque droite au nord du Karakorum.

Aksae-Chin est situé à trois marches au sud-est du col de Karakorum ; aucune route n’y conduit : la caravane ne traversa que des solitudes.

Le 20 juillet, on passa le Kuen-Lun près de Karongotak, et l’on marcha ensuite dans la direction d’Elchi qui est sur le bord du Khotan.

Pendant ce voyage pénible, il survint diverses mésaventures.

Mohammed-Hassan prit la fuite avec un cheval, quelque argent et des livres de compte. On envoya à sa poursuite deux tchaprassis ou tchouprassys (serviteurs armés), qui lui reprirent les objets volés, mais ne purent le détermi-

  1. Rapport officiel sur les derniers voyages et sur la mort d’Adolphe Schlagintweit dans le Turkestan (en anglais) (mai 1859). − On s’est servi aussi de notes manuscrites de M. H. Schlagintweit, dont la communication est due à l’obligeance de M. de La Roquette.
  2. Voy. le rapport de M. de La Roquette, vice-président de la Société de géographie de Paris, dans le Bulletin publié par cette Société (avril 1859).
  3. Voici un conseil que nous prenons la liberté de donner, une fois pour toutes. Lorsqu’on lit une relation de voyage, même sans y chercher rien de plus qu’une distraction, on double l’intérêt que l’on peut y trouver en plaçant devant soi une carte de la contrée que parcourt le voyageur, afin de le suivre en quelque sorte du regard et de bien comprendre son itinéraire. Nous nous proposons du reste de joindre souvent aux récits que nous publierons, des cartes spéciales et exécutées, avec grand soin, d’après les meilleures et les plus récentes autorités.