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La renaissance de ce peuple que l’on croyait tout à fait disparu, est de date récente et tient presque du miracle : en 1755, au jour de leur exode, les Acadiens étaient environ dix-huit mille ; en 1767, un recensement officiel n’en rencontre plus que douze cent soixante-cinq, ancêtres directs des cent cinquante mille répandus maintenant par petits groupes dans les Provinces Maritimes et séparés les uns des autres par des masses compactes d’Anglo-Saxons indifférents, sinon hostiles. Dans la presque impossibilité où ils se trouvaient de communiquer ensemble, ces groupés épars s’ignoraient les uns les autres, et il n’est pas exagéré de dire que M. Rameau de Saint-Père, qui les visita pour la première fois en 1857, les révéla, non seulement au monde entier, mais encore à eux-mêmes[1], chaque communauté se croyant, pour ainsi dire, composée des seuls survivants d’une race disparue : « On avait bien entendu parler des Acadiens d’autrefois, d’un petit peuple pacifique arraché en pleine paix à ses foyers, dépouillé de tous ses biens, entassé dans des cales de navires et dispersé sur toutes les mers pour y périr, mais le monde se souvenait d’eux comme d’une grande traînée de sang aperçue un soir dans le ciel serein et aussitôt cachée pour toujours par d’épais nuages noirs. L’excès de leurs infortunes avait étonné le monde, puis le silence de l’oubli s’était fait sur leur tombe refermée, le grand silence de la mort, on les croyait à jamais anéantis[2]. » Les mœurs aussi étaient contre eux, et il y a trente ans à peine les Acadiens n’osaient guère sortir de leurs cantons, de crainte d’être molestés, Arméniens qu’ils étaient de cette Turquie anglaise.

On s’attaqua aussi à notre langue, que l’on s’efforça de leur faire oublier. Le clergé irlandais, qui aurait dû se souvenir des persécutions dont sa race avait été l’objet en Europe, fut et est encore un des adversaires les plus résolus du français dans les Provinces Maritimes, de ce français, patrimoine des Acadiens qu’il faut aider, par tous les moyens possibles, afin qu’ils puissent transmettre intact à leurs enfants ce dépôt sacré.

Examiner la façon dont notre langue est enseignée dans les écoles acadiennes, étudier les moyens de leur venir en aide, afin de maintenir et d’accroître notre influence morale dans cette ancienne colonie, donner à ces Français, demeurés si fidèles, un témoignage de sympathie et s’efforcer de renouer les liens qui nous unissaient jadis, tout en s’attachant à ne froisser en rien les susceptibilités du gouvernement qui les régit, tel fut le but de la mission que me confia « l’Alliance Française » et dont le Tour du Monde a bien voulu accueillir les impressions rapides, instantanées pour ainsi dire.



ITINÉRAIRE DE L’AUTEUR.

Partir du Havre sur la Touraine le 13 mai 1899 ; vivre sept jours oisifs entre deux bleus — celui du ciel, plus pâle, émaillé de nuages — avec, la dernière nuit, celle où vous prend la fièvre du débarquement, juste assez de brume pour éveiller la sirène qui piaule, éperdue, dans le noir ; voir à sa droite, le matin du 20, une

  1. La France aux colonies.Une colonie féodale en Amérique ; l’Acadie. M. Rameau de Saint-Père est mort en décembre 1899.
  2. Le Père Lefebvre et l’Acadie, par Pascal Poirier, p. 47.