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Nos doigts sont donc, par leur disposition naturelle, en contradiction avec les lois de l’accentuation musicale.

Il est aisé de comprendre combien il importe de réagir contre cette défectuosité naturelle qui fausse complètement les rapports des notes entre elles. On y remédie par des nuances, apprises péniblement, tandis que l’élève les trouvera tout naturellement au bout de ses doigts s’il a constitué l’équilibre des sonorités en sens inverse.

À l’aide de l’homogénéité, de l’harmonie des notes entre elles, le jeu de l’élève acquerra une clarté, une maturité surprenante ; l’initiation de la musique se fait dans son esprit.


II

LA SOUPLESSE


Dès qu’on empêche l’élève de raidir les mains et les doigts pour jouer, il a presque déjà un joli toucher. C’est l’immobilité dans laquelle on maintient le doigt, après avoir enfoncé la touche, qui occasionne surtout la raideur.

Du reste en analysant attentivement le mouvement fait par les doigts, lorsqu’on tire de l’instrument un son vibrant et expressif, on est frappé de ce que l’attaque de la touche se fait en imprimant au doigt un petit glissé qui n’est pas autre chose que le principe de la souplesse du toucher.

Quand même beaucoup de personnes, méconnaissant cette vérité, prétendraient qu’en principe le toucher n’est qu’une pression intuitive et indéfinissable du doigt sur la touche, ne faut-il pas, dans l’enseignement, empêcher avant tout l’élève d’avoir le sentiment erroné que pour jouer une note il suffit d’enfoncer la touche ? Après avoir fait résonner la note, n’est-il pas de toute nécessité qu’il la suive de sa volonté consciente, de façon à l’entendre en quelque sorte continuer à chanter en lui, réveillant l’écho intime de sa pensée musicale ? Comment faire mieux surgir ce travail complémentaire intérieur qu’en lui enseignant la matérialité du toucher comme un mouvement continu du doigt sur la touche aussi longtemps que la note doit résonner à son oreille ?

Non seulement les attaques écourtées, faites avec l’unique préoccupation d’enfoncer la touche, ne forment pas le toucher, mais elles empêchent l’élève de penser à la durée du son et par conséquent à l’enchaînement des notes, d’où dérive l’esprit même de la musique.

On peut donc admettre que des doigts non initiés aux ressources du toucher, faussent souvent le sentiment dans le jeu de personnes pourtant très musiciennes, tandis qu’à l’aide d’un enseignement rationnel, les doigts initiés à ces ressources permettront aux personnes de peu de culture musicale d’acquérir un jeu équilibré et expressif.