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THÉÂTRE DE LA RÉVOLUTION

ROBESPIERRE.

Les ordres sont donnés. La France jeûne pour que ses soldats mangent.

SAINT-JUST.

Dès que vous n’aurez plus besoin de mes conseils, renvoyez-moi là-bas. Les premiers engagements seront décisifs. Il faut tendre tous les ressorts de l’action.

ROBESPIERRE.

Cette vie ne t’épuise donc pas ?

SAINT-JUST, sincère, ardent, concentré, parlant sans aucun geste.

Elle me repose des discussions stériles. La pensée et l’action se confondent là-bas comme le choc des nuages et l’éclair qui jaillit. Chaque volonté s’inscrit sur le champ, pour l’éternité, dans le sang des hommes et les destinées du monde… Grandeur de la tâche ! Angoisse divine !… Dans la nuit, dans la neige, aux avant-postes de l’armée, sur la morne étendue de la plaine flamande, sous l’immensité du ciel glacé, je sens un frisson de joie me parcourir le corps, et mon sang battre à flots ma poitrine. Seuls, perdus au milieu des ténèbres de l’Univers, entourés d’ennemis, suspendus sur la tombe, nous sommes en Europe les gardiens de la Raison, la Lumière vivante. À chaque décision, nous jouons le sort du monde. Nous recréons l’Homme.

ROBESPIERRE.

Heureux celui qu’un corps débile ne retient pas ici, loin de l’action !

SAINT-JUST.

Qui agit plus que toi ? La liberté du monde est bloquée dans Paris.

ROBESPIERRE.

Ici on se sent flétri à combattre le vice. Il souille malgré soi. Je l’avoue, quand je vois la boue des crimes que le torrent de la Révolution roule pêle-mêle avec la vertu, je crains d’être sali aux yeux de la postérité par le voisinage impur des hommes pervers.