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DANTON

erreur ! Ils veulent être malheureux, ils y tiennent absolument. Les Pharaons et les Sésostris, les rois à tête d’épervier et à griffes de tigre, les bûchers de l’Inquisition, les pourrissoirs des Bastilles, la guerre qui égorge et qui ruine, voilà ce qui leur plaît. Il faut l’obscurité des mystères pour être cru. Il faut l’absurdité de la souffrance pour être aimé. Mais la raison, la tolérance, l’amour partagé, le bonheur… fi ! C’est leur faire injure !

CAMILLE.

Tu es amer. Il faut faire le bien aux hommes malgré eux.

HÉRAULT.

Tout le monde s’en mêle aujourd’hui, le résultat est médiocre.

CAMILLE.

Pauvre République ! Qu’ont-ils fait de toi ?… Ô campagnes fleuries, terre rajeunie, dont l’air est plus léger et la lumière plus limpide, depuis que la claire raison a de son souffle frais chassé du ciel français les tristes superstitions et les vieux saints gothiques,… rondes de jeunes gens dansant dans les prairies, héroïques armées, poitrines fraternelles, mur d’airain où les lances de l’Europe se brisent,… joie de la beauté, des formes harmonieuses, entretiens du Portique, nobles Panathénées, où les filles aux bras blancs passent, enveloppées de souples draperies,… liberté de vivre, plaisir vainqueur de tout ce qui est laid, hypocrite ou morose, République d’Aspasie et du bel Alcibiade, qu’es-tu devenue ? — Un bonnet rouge, une chemise sale, une voix enrouée, les idées fixes d’un maniaque, la férule pédante d’un magister d’Arras !

HÉRAULT.

Tu es un Athénien chez les barbares, Ovide parmi les Scythes. Tu ne les réformeras pas.

CAMILLE.

J’essaierai du moins.