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THÉÂTRE DE LA RÉVOLUTION

CAMILLE.

Vous manquez de courage. Nous sommes toujours les plus populaires de la République.

HÉRAULT.

Lafayette fut populaire aussi, et Pétion, et Roland. Capet lui-même fut populaire. Il y a huit jours, celui qui vient de passer était l’idole du peuple. Qui peut se flatter d’être aimé de cette brute ? À des moments, on croit saisir, dans ses yeux troubles, des lueurs de sa propre pensée. Quelle conscience n’est d’accord, un jour dans sa vie, avec la conscience de la foule ? Mais cet accord ne peut durer : c’est folie de s’obstiner à le poursuivre. Le cerveau du peuple est une mer, grouillant de monstres et de cauchemars.

CAMILLE.

Voilà de grands mots ! Nous nous gonflons les joues pour dire le mot de Peuple, et nous le prononçons avec une solennité ridicule, afin que l’Europe croie en une force mystérieuse, dont nous sommes les instruments. Je le connais, ce peuple : il a travaillé pour moi. L’âne de la fable dit : « Je ne saurais porter deux bâts » ; mais il ne se doute point qu’il puisse n’en pas porter du tout. Nous avons eu assez de peine à lui faire accomplir notre Révolution : il ne l’a faite qu’à contre-cœur. C’est nous qui avons été les ingénieurs et les machinistes de ce sublime mouvement ; sans nous, il n’eût point bougé. Il ne demandait point la République : c’est moi qui l’y ai conduit. Je lui ai persuadé qu’il avait voulu être libre, pour lui faire chérir la liberté comme son ouvrage. C’est l’éternel moyen pour diriger les faibles. On les convainc qu’ils ont voulu quelque chose, à quoi ils ne pensaient pas ; ils ne tardent pas à le vouloir, en effet, comme des lions.

HÉRAULT.

Prends garde, Camille ; tu es un enfant, tu joues avec le feu. Tu crois que le peuple t’a suivi, parce que vous couriez au même but. Il t’a dépassé maintenant. N’essaie