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Julien se sentait fort et résolu comme l’homme qui voit clair dans son âme.

LXXV

Je ne veux pas jouer à ce pauvre abbé Chas-Bernard le mauvais tour de le faire appeler, dit-il à Fouqué ; il n’en dînerait pas de trois jours. Mais tâche de me trouver un janséniste, ami de M. Pirard et inaccessible à l’intrigue.

Fouqué attendait cette ouverture avec impatience. Julien s’acquitta avec décence de tout ce qu’on doit à l’opinion, en province. Grâce à M. l’abbé de Frilair, et malgré le mauvais choix de son confesseur, Julien était dans son cachot le protégé de la congrégation ; avec plus d’esprit de conduite, il eût pu s’échapper. Mais le mauvais air du cachot produisant son effet, sa raison diminuait. Il n’en fut que plus heureux au retour de madame de Rênal.

— Mon premier devoir est envers toi, lui dit-elle en l’embrassant ; je me suis sauvée de Verrières…

Julien n’avait point de petit amour-propre à son égard, il lui raconta toutes ses faiblesses. Elle fut bonne et charmante pour lui.

Le soir, à peine sortie de la prison, elle fit venir chez sa tante le prêtre qui s’était attaché à Julien comme à une proie ; comme il ne voulait que se mettre en crédit auprès des jeunes femmes appartenant à la haute société de Besançon, madame de Rênal l’engagea facilement à aller faire une neuvaine à l’abbaye de Bray-le-Haut.

Aucune parole ne peut rendre l’excès et la folie de l’amour de Julien.

À force d’or, et en usant et abusant du crédit de sa tante, dévote célèbre et riche, madame de Rênal obtint de le voir deux fois par jour.

À cette nouvelle, la jalousie de Mathilde s’exalta jusqu’à l’égarement. M. de Frilair lui avait avoué que tout son crédit n’allait pas jusqu’à braver toutes les convenances au point de lui