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la vanité française ; c’est le souvenir de son père, le fameux marchand de draps, qui fait le malheur de ce caractère naturellement morne et sec. Il n’y aurait qu’un bonheur pour elle, celui d’habiter Tolède, et d’être tourmentée par un confesseur qui chaque jour lui montrerait l’enfer tout ouvert.

Comme Julien sortait, Altamira m’apprend que vous êtes des nôtres, lui dit don Diego, toujours plus grave. Un jour vous nous aiderez à reconquérir notre liberté, ainsi veux-je vous aider dans ce petit amusement. Il est bon que vous connaissiez le style de la maréchale ; voici quatre lettres de sa main.

— Je vais les copier, s’écria Julien, et vous les rapporter.

— Et jamais personne ne saura par vous un mot de ce que nous avons dit ?

— Jamais, sur l’honneur ! s’écria Julien.

— Ainsi Dieu vous soit en aide ! ajouta l’Espagnol, et il reconduisit silencieusement, jusque sur l’escalier, Altamira et Julien.

Cette scène égaya un peu notre héros ; il fut sur le point de sourire. Et voilà le dévot Altamira, se disait-il, qui m’aide dans une entreprise d’adultère.

Pendant toute la grave conversation de don Diego Bustos, Julien avait été attentif aux heures sonnées par l’horloge de l’hôtel d’Aligre.

Celle du dîner approchait, il allait donc revoir Mathilde ! Il rentra, et s’habilla avec beaucoup de soin.

Première sottise, se dit-il en descendant l’escalier ; il faut suivre à la lettre l’ordonnance du prince.

Il remonta chez lui, et prit un costume de voyage on ne peut pas plus simple.

Maintenant, pensa-t-il, il s’agit des regards. Il n’était que cinq heures et demie, et l’on dînait à six. Il eut l’idée de descendre au salon, qu’il trouva solitaire. À la vue du canapé bleu, il fut ému jusqu’aux larmes ; bientôt ses joues devinrent brûlantes. Il faut user cette sensibilité sotte, se dit-il avec colère ; elle me trahirait. Il prit un journal pour avoir une contenance, et passa trois ou quatre fois du salon au jardin.