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doute pour cela, ajouta-t-elle avec dépit, que dans le temps il a refusé de m’épouser. Et moi, imbécile, qui allais consulter madame de Rênal ! qui la priais de parler au précepteur !

Dès le même soir M. de Rênal reçut de la ville, avec son journal, une longue lettre anonyme qui lui apprenait dans le plus grand détail ce qui se passait chez lui. Julien le vit pâlir en lisant cette lettre écrite sur du papier bleuâtre, et jeter sur lui des regards méchants. De toute la soirée le maire ne se remit point de son trouble, ce fut en vain que Julien lui fit la cour en lui demandant des explications sur la généalogie des meilleures familles de la Bourgogne.


XX

Les Lettres anonymes.

Do not give dalliance
Too much the rein : the strongest oaths are straw
To the fire i’ the blood.
Tempest.

Comme on quittait le salon sur le minuit, Julien eut le temps de dire à son amie :

— Ne nous voyons pas ce soir, votre mari a des soupçons ; je jurerais que cette grande lettre qu’il lisait en soupirant est une lettre anonyme.

Par bonheur Julien se fermait à clé dans sa chambre. Madame de Rênal eut la folle idée que cet avertissement n’était qu’un prétexte pour ne pas la voir. Elle perdit la tête absolument, et à l’heure ordinaire vint à sa porte. Julien qui entendit du bruit dans le corridor souffla sa lampe à l’instant. On faisait des efforts pour ouvrir sa porte ; était-ce madame de Rênal, était-ce un mari jaloux ?

Le lendemain de fort bonne heure, la cuisinière qui protégeait Julien, lui apporta un livre sur la couverture duquel il lut ces mots écrits en italien : Guardate alla pagina 130.

Julien frémit de l’imprudence, chercha la page 130 et y