Page:Le Parnasse contemporain, III.djvu/445

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
441
JEAN AICARD.

Des tamarins épars et des genêts sauvages
Y sont debout parmi les ajoncs des rivages.
Le paysage est beau, mais jusqu’à l’horizon
L’œil ne découvre pas une seule maison ;
À peine une humble hutte où le laboureur couche
Lorsqu’en hiver il vient dans la lande farouche ;
C’est qu’entre les sillons couverts de tant d’épis,
Mais sans oiseaux, hantés des lézards assoupis,
Sous les vents lourds du sud, effluves de fournaise,
Au milieu des pavots, comme une herbe mauvaise,
Une force maligne et triste germe et dort,
Une invisible fleur endormante, la mort.

Oh ! mes bruns moissonneurs, ces blés-là sont superbes !
Venez donc les couper, venez lier les gerbes,
Accourez ! C’est le temps de faire les moissons !
Ils viennent un matin, mais sans cris ni chansons.
En toute hâte, ils font cette moisson funeste,
Tous muets, actifs même à l’heure de la sieste,
Un peu pâles, sans joie et sans jeux amoureux,
Car ils sentent venir la Fièvre derrière eux
Qui leur dit : Hâtez-vous, c’est ici mon royaume.
Et quand ils sont partis, chassés par ce fantôme,
Ils laissent un désert de chaume où, par endroits,
Il reste maints épis tombés ou même droits.

C’est alors que la Faim, sœur de la Fièvre pâle,
Avec son geste maigre, avec sa voix qui râle,
Assemblant un troupeau de femmes en haillons :