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Dormir est doux parfois, mais vivre est bien plus beau :
Demandez aux mourants si, malgré leur souffrance,
Ils ne préfèrent pas l’agonie au tombeau ?

Ils repoussent du bras la mort qui les convie,
Quels que soient les tourments qui s’acharnent sur eux :
Ainsi nous bénissons notre amour douloureux ;
Qui ne le connaît pas ne connaît pas la vie,
Qui n’en a pas souffert ne fut jamais heureux…

Et vous ne l’êtes pas, madame, — et lui, s’il aime,
Est moins proscrit que vous qui lui fermez vos bras ;
Ne le plaignez donc plus, mais plaignez-vous tous bas !
Ne pleurez pas sur lui, mais pleurez sur vous-même !
Ayez pitié de vous puisque vous n’aimez pas !

Enviez-lui plutôt sa peine et sa détresse,
Car vous ne savez pas dans quel monde étoilé
Il vit tout plein de vous qui l’avez exilé,
Ni tout ce qu’en votre œil aride il boit d’ivresse
Et de ravissement, ce cœur inconsolé !

Vous ne saurez jamais l’extase de son âme,
Quand il vous suit partout et vous emporte en soi ;
Comme en son rêve immense il vous prend, pauvre femme,
Et comme il vous ranime, et comme il vous enflamme,
Et comme il vous couronne, et comme il est bien roi !

Vous ignorez cela ! — Pour vous dont l’âme fière,