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Voilà quel songe heureux, quelles hautes ivresses
Vous m’avez prodigués dans l’ombre de vos bois ;
Voilà le doux vertige, ô mes chastes maîtresses,
Que vos seins lumineux m’ont versé tant de fois.


II


Mais le temps s’est hâté, j’ai subi son outrage ;
J’ai vieilli, j’ai souffert en des jours odieux…
Ah ! je ne parle point des tristesses de l’âge :
Si je souffrais tout seul, je bénirais les Dieux !

Du naufrage commun je ne puis les absoudre :
Ils ont livré la terre au crime tout-puissant ;
Je me demande encor ce qu’ils font de leur foudre
Quand le droit égorgé se débat dans le sang.

J’ai vu, gonflés de haine et d’appétits infâmes,
Des peuples asservis à quelque homme fatal,
Poussant, broyant du pied les enfants et les femmes,
Reculer devant eux les frontières du mal.

J’ai vu mon cher pays, — et c’est ce qui me tue, —
Énervé par vingt ans d’un règne empoisonneur ;
J’ai vu ma noble France, en deux jours abattue,
Perdre du même coup sa gloire et son honneur.