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LE PARNASSE CONTEMPORAIN


Ils s’en venaient de la montagne & de la plaine,
Du fond des sombres bois & du désert sans fin,
Plus massifs que le cèdre & plus hauts que le pin,
Suants, échevelés, soufflant leur rude haleine
Avec leur bouche épaisse & rouge, & pleins de faim.

C’est ainsi qu’ils rentraient, l’ours velu des cavernes
À l’épaule, ou le cerf, ou le lion sanglant.
Et les femmes marchaient, géantes, d’un pas lent,
Sous les vases d’airain qu’emplit l’eau des citernes,
Graves, & les bras nus, & les mains sur le flanc.

Elles allaient, dardant leurs prunelles superbes,
Les seins droits, le col haut, dans la sérénité
Terrible de la force & de la liberté,
Et posant tour à tour dans la ronce & les herbes
Leurs pieds fermes & blancs avec tranquillité.

Le vent respectueux, parmi leurs tresses sombres,
Sur leurs nuques de marbre errait en frémissant.
Tandis que les parois des rocs couleur de sang,
Comme de grands miroirs suspendus dans les ombres,
De la pourpre du soir baignaient leur dos puissant.

Les ânes de Khamos, les vaches aux mamelles
Pesantes, les boucs noirs, les taureaux vagabonds
Se hâtaient, sous l’épieu, par files & par bonds ;
Et de grands chiens mordaient le jarret des chamelles,
Et les portes criaient en tournant sur leurs gonds.