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Juan Forès pique en vain d’un carreau d’arbalète
Un vieux rouan fourbu qui bronche & qui halète ;
Ribera l’accompagne, & laisse à l’abandon
Errer distraitement la bride & le bridon
Au col de son bai-brun qui boite d’un air morne,
S’étant, faute de fers, usé toute la corne.
Avec ces pauvres gens marche don Pèdre Alcon,
Lequel en son écu porte d’or au faucon
De sable, grilleté, chaperonné de gueules.
Ce vieux seigneur jadis avait tourné les meules
Dans Grenade, du temps qu’il était prisonnier
Des mécréants. Ce fut un bon pertuisanier.

Sous cette brave escorte, au trot de leurs deux mules,
Fort pacifiquement s’en vont les deux émules :
Requelme, le premier, comme bon Contador,
Reste silencieux, car le silence est d’or.
Quant au licencié Gil Tellez, le notaire,
Il dresse en son esprit le futur inventaire,
Tout prêt à prélever, au taux juste & légal,
La part des Cavaliers après le Quint royal.

Or quelques fourrageurs restés sur les derrières,
Pour rejoindre leurs rangs, malgré les fondrières,
À leurs chevaux lancés ayant rendu la main,
Et bravant le vertige & brûlant le chemin,
Par la montagne à pic descendaient ventre à terre.
Leur galop furieux fait un bruit de tonnerre.
Les voici : bride aux dents, le sang aux éperons,