Page:Le Parnasse contemporain, II.djvu/379

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Avec un sourd fracas se fendait, & le vent,
Au milieu des éclats de foudre, soulevant
Des tourmentes de neige & des trombes de grêles,
Se lamentait avec des voix surnaturelles.
Et roidis, aveuglés, éperdus, les soldats
Cramponnés aux rebords à pic des quebradas
Sentaient sous leurs pieds lourds fuir le chemin qui glisse
Sur leurs fronts la montagne était abrupte & lisse,
Et plus bas, ils voyaient, dans leurs lits trop étroits,
Rebondissant le long des bruyantes parois,
Aux pointes des rochers qu’un rouge éclair allume,
Se briser les torrents en poussière d’écume.
Le vertige, plus haut, les gagna. Leurs poumons
Saignaient en aspirant l’air trop subtil des monts,
Et le froid de la nuit gelait la triste troupe.
Tandis que les chevaux, tournant en rond leur croupe,
L’un sur l’autre appuyés, broutaient un chaume ras,
Les soldats, violant les tombeaux Aymaras,
En arrachaient les morts cousus dans leurs suaires
Et faisaient de grands feux avec ces ossuaires.

Pizarre seul n’était pas même fatigué.
Après avoir passé vingt rivières à gué,
Traversé des pays sans hameaux ni peuplade,
Souffert le froid, la faim, & tenté l’escalade
Des monts les plus affreux que l’homme ait mesurés,
D’un regard, d’une voix & d’un geste assurés,
Au cœur des moins hardis il soufflait son courage ;
Car il voyait, terrible & somptueux mirage,