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THÉODORE DE BANVILLE

Et les hommes & les oiseaux aériens,
Et qui, vivante fleur que sa beauté parfume,
Apparut sur la mer dans la sanglante écume !
Et les Heures alors, filles du Roi des cieux,
Parèrent sa poitrine & son cou gracieux
De colliers brillants dont la splendeur environne
Sa chair de neige, puis ornant d’une couronne
Son front ambroisien, s’empressèrent encor
Pour attacher à ses oreilles des fleurs d’or !
Ô Muses ! bondissant près des eaux ténébreuses,
Vous célébrez ainsi les victoires heureuses
Et Cypris rayonnant sur les flots onduleux
Et Bakkhos couronné de ses beaux cheveux bleus !
Mais moi, je chante l’Homme & sa dure misère
Et les maux qui toujours le tiennent dans leur serre,
Pauvre artisan boiteux, qui sous l’ombre d’un mur
Travaille & forge, ayant l’appétit de l’azur !
Victime qui, de gloire & de fange mêlée,
Ne possède ici-bas qu’une flamme volée
Et voit mourir les lys entre ses doigts flétris !
Être affamé d’amour, qui dans ses bras meurtris
Ne peut tenir pendant une heure son amante
Sans qu’un génie affreux venu dans la tourmente
La lui prenne sitôt que cette heure s’enfuit
Et, blanche, la remporte aux gouffres de la nuit !
Je dis le chant plaintif des âmes prisonnières
Et des monstres fuyant le jour en leurs tanières :
Ce chant est deuil, espoir, mystère, amour, effroi ;
Il naît dans ma poitrine & s’exhale de moi,