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Tu seras reine, & moi, le roi de l’univers.
Je te suis. Où veux-tu que nous allions ?
Je te suis. Où veux-tu que nous allions ? — Vers l’ombre,
Reprit-elle, là-bas, vers cette enceinte sombre,
Où l’œil de l’Éternel ne pourra nous chercher.
Pour t’aimer, j’ai besoin, Adam, de me cacher.
Je ne sais quelle flamme à mon visage monte,
Quand j’arrête sur toi des yeux charmés : j’ai honte.
Je ne t’avais pas vu dans Éden ; Dieu couvrait
D’un voile de pudeur tout ce qui m’entourait.
Dans Éden, j’ignorais le charme humain des choses ;
J’écoutais les oiseaux, je contemplais les roses,
J’aspirais les parfums & j’entendais les sons ;
Mais rien ne m’enivrait, ni baumes, ni chansons.
Je vivais sans désir, j’ignorais l’espérance ;
Mon bonheur était froid comme mon ignorance :
L’amour n’était pas né. Non, dans Éden, jamais
Je n’aurais pu comprendre à quel point je t’aimais.
J’étais trop près du Dieu, maître de la nature,
Trop près du Créateur, pour voir la créature.
Mais à présent que Dieu n’est plus là, l’homme est dieu
Pour mon âme, & beauté pour mon regard de feu.

— Ève, répondit-il, je l’ignorais moi-même,
Cette loi de l’amour humain ; ce mot suprême,
Aimer, j’en ignorais hier la volupté.
Dans Éden, je n’ai pas remarqué ta beauté.
Ce que j’aimais hier en toi, c’était ton âme ;
En toi ce que j’adore aujourd’hui, c’est la femme.