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J’ai connu la saveur auguste de la Vie.
Et tout surpris je cherche, enfant chère ! comment
De l’instinct vague est né l’aveugle mouvement…
Lorsque sur la pâleur de ta peau nuancée
Est éclos ce grenat, avais-je la pensée
Qu’osant mouiller ma lèvre à la chaude liqueur
Qui fait battre ta tempe & qui gonfle ton cœur,
J’allais communier en ta substance même ?
Et, superstitieux comme on l’est quand on aime,
Ai-je espéré qu’enfin mon angoisse comprît
Le fond de ce cœur simple & de ce doux esprit ?
(Nul sourire de sphinx n’enveloppant une autre
Énigme plus obscure, ô vierges ! que la vôtre.)
Ai-je rêvé ce rêve étrange ? — Ou bien encor,
Devant cette parcelle unique du trésor
De tes veines, secret de ta grâce croissante,
Qui rose le contour de la joue innocente,
Avive la rougeur des lèvres, & fleurit
Le blanc tissu des chairs, & jamais ne tarit,
Séve heureuse, par qui chaque jour se révèle
Plus riche ta santé, ta fraîcheur plus nouvelle,
Moi fébrile rêveur qu’a toujours fait si las
La fatigue de vivre & de douter, hélas !
Ai-je frémi, pareil au malade qu’altère
Le seul aspect d’une eau limpide & salutaire ?

Or, depuis ces trois jours passés que tu me vins
Montrer ton doigt blessé, voilà les songes vains
Dont toute ma pensée est pleine, ô jeune fille !