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Souvent c’est dans une île & lointaine & sauvage,
Où Prospéro jamais ne rencontre Ariel,
Que vous errez pensifs sur le morne rivage,
Sans autres compagnons que la mer & le ciel.

Et vous criez souvent à la brise qui passe,
Au nuage rapide, au léger remorqueur,
Aux goëlands fuyards qui traversent l’espace,
D’emporter au pays un peu de votre cœur.

Là-bas sont les trésors, là-bas sont les reliques,
La maison du berceau, la maison de l’hymen,
Les murs témoins des jours gais ou mélancoliques,
Les monts gravis à deux en se donnant la main.

Là-bas c’est le passé, là-bas c’est la Patrie,
Doux mirages troublant les cœurs irrésolus…
Mais le regard se tourne avec idolâtrie
Vers l’invisible Amante, & l’on n’hésite plus.

C’est qu’ils savent aimer, tous ces êtres qu’attire
Comme un enchantement le dur combat du sort.
Leur âme frémissante appelle le martyre ;
Ils quêtent sans relâche un regard de la Mort.

Et, sur les échafauds que la foule peureuse
Cerne avec la stupeur du morne hébétement,
Ils proclament le nom de leur grande amoureuse ;
Leur dernière parole est un dernier serment.