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Quelle que soit leur force et quel que soit leur nombre,
Je voudrais bien les voir face à face ; il est temps
Que mon mauvais destin prenne un corps, je l’attends.

Mais je ne puis toujours lutter ainsi dans l’ombre,
Et s’il faut que j’expie, au moins je veux, pareil
Au fier Ajax, combattre et mourir au soleil.




LA SIRÈNE


La vie appelle à soi la foule haletante
Des germes animés ; sous le clair firmament
Ils se pressent, et tous boivent avidement
A la coupe magique où le désir fermente.

Ils savent que l’ivresse est courte ; à tout moment
Retentissent des cris d’horreur et d’épouvante,
Mais la molle sirène, à la voix caressante,
Les attire comme un irrésistible aimant.

Puisqu’ils ont soif de vivre, ils ont leur raison d’être :
Qu’ils se baignent, joyeux, dans le rayon vermeil,
Que leur dispense à tous l’impartial soleil ;

Mais moi, je ne sais pas pourquoi j’ai voulu naître ;
J’ai mal fait, je me suis trompé, je devrais bien
M’en aller de ce monde où je n’espère rien.