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Ne brûle point celui qui vécut sans remords.
Comme font l’oiseau noir, la fourmi, le reptile,
Ne le déchire point, ô Roi, ni ne le mords !
Mais plutôt, de ta gloire éclatante et subtile
Pénètre-le, Dieu clair ! libérateur des morts !

Berger du monde, apaise autour de lui les râles
Que poussent les gardiens du seuil, les deux chiens pâles.

Voici l’heure. Ton souffle au vent, ton œil au feu !
O Libation sainte, arrose sa poussière :
Qu’elle s’unisse à tout dans le temps et le lieu.
Toi, Portion vivante, en un corps de lumière,
Remonte et prends la forme immortelle d’un Dieu !

Que le Berger divin comprime les mâchoires
Et détourne le flair des chiens expiatoires.

Le beurre frais, le pur Çôma, l’excellent miel,
Coulent pour les héros, les poëtes, les sages.
Ils sont assis, parfaits, en un rêve éternel.
Va, pars ! Allume enfin ta face à leurs visages,
Et siége comme eux tous dans la splendeur du ciel !

Berger du monde, aveugle avec tes mains brûlantes
Des deux chiens d’Yama les prunelles sanglantes.

Tes deux chiens qui jamais n’ont connu le sommeil,
Dont les larges naseaux suivent le pied des races,
Puissent-ils, Yama ! jusqu’au dernier réveil,
Dans la vallée et sur les monts perdant nos traces,
Nous laisser voir longtemps la beauté du soleil !

Que le Berger divin écarte de leurs proies
Les chiens blêmes errant à l’angle des deux voies.