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Tu les connais, ceux-là, dont le mâle courage,
— Au risque de briser mon cœur et ma raison, —
M’osa montrer de qui je portais l’esclavage,
Et ce que, — moi sorti, — devenait ma maison.

Tu sais leur nom à tous, — sans doute tu les aimes
Et tu les reconnais à leurs pas différents ; —-
Mais, comme moi, sais-tu qu’ils sont toujours les mêmes
Depuis douze ou quinze ans !…

Leurs bouches n’ont jamais proféré d’impostures,
D’envieux sentiments ne souillent pas leurs cœurs ;
Eh bien ! quand ils m’ont peint mes réelles tortures,
J’ai lâchement failli les traiter de menteurs !…

Pourtant il fallut bien, — la coupe étant si pleine,
De honte, de douleur, de découragement, —
De ma propre faiblesse enfin briser la chaîne,
Et tuer mon bonheur pour tuer mon tourment.

Alors, tu t’en souviens ! — Rien qu’à cette pensée
Je sens encor mon cœur qui sa glace d’effroi ;
Elle que j’aimais tant. — Elle ! — je l’ai chassée,
Comme un voyant qui crie au soleil : — Éteins-toi !

Alors, elle est partie, et mon regard aride,
Dans ce nid démeublé, ne rencontra le soir
Que la muraille nue, et le calme du vide,
Et le sol pour m’asseoir…

Et sur le sol erraient, — honni soit qui se raille
De tous ces souvenirs de pleurs sanctifiés, —
Témoins de son départ, quelques fétus de paille
Qui me semblaient crier de douleur sous mes pieds.