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Plus tard, quand elle vint habiter ma demeure,
Ce nid, que j’avais fait exprès pour elle et moi ;
— Réduit vide, à présent, où bien souvent je pleure,
T’en souvient-il encor ? elle y vint avec toi ;

Quand elle eut arrangé les choses à sa guise :
La chambre à coucher bleue et mon cabinet vert ;
Du haut de l’étagère où sa main t’avait mise,
Vénus, n’as-tu pas cru voir ton temple rouvert ?

O Vénus ! quelquefois à l’heure du mystère,
Quand nos noms confondus mouraient dans un baiser,
N’as-tu pas cru sentir sous ta gorge de pierre
Un cœur qui s’éveillait et voulait se briser ?

Et quand tu nous voyais follement nous étreindre,
Aux rapides instants des désirs exaucés,
N’as-tu pas dû parfois te trouver bien à plaindre
D’avoir les bras cassés ?…

N’as-tu pas, jalousant sa beauté diaphane,
Enviant l’éclat pur et doux de ses grands yeux,
O Vénus ! pensé voir en mon logis profane
La Vierge qui t’a pris la royauté des cieux ?…

Dis-moi, te souvient-il de sa voix enfantine ?
C’est elle, — je l’entends qui prélude tout bas, —
Chut ! — Elle va chanter le Lac, de Lamartine,
Ou bien : La peur d’aimer fait que je n’aime pas.

Mais non, nous nous trompons, ma chère confidente ;
Depuis longtemps déjà, sa voix au son si doux,
Pour un autre résonne et près d’un autre chante,
Sans que l’écho jamais en vienne jusqu’à nous !