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Déjà des sphinx de nuit bruissaient les antennes,
Et l’Ombre envahissait les cieux céruléens.
C’était le Crépuscule et longue était la route.
On entendait au loin les hurlements des loups.
Plus lentement les bœufs avançaient. Goutte à goutte,
Leur sang, sous l’aiguillon, rougissait les cailloux.
La Nuit, oiseau sinistre à la vaste envergure,
De ses ailes couvrait plaine et bois ; et toujours
Retentissaient lointains, le fatidique augure
Des hiboux, et les sourds mugissements des ours.
Les villes s’effondraient dans la brune. — Orthosie
N’était plus qu’un brouillard, Milet qu’une vapeur.
La Mère, sous un froid clair de lune d’Asie,
Souriait à ses fils. — Les grands bœufs avaient peur…
Peur de la nuit, du vent, des formes inconnues. —
Leurs cous pesants pendaient. Les grands bœufs étaient las,
Et s’affaissant soudain sur leurs croupes charnues,
Inertes, les grands bœufs ne se levèrent pas.
Un meuglement aux cieux poussé, farouche et rauque ;
Les reins arqués cédant sous les jarrets discords ;
Du sang dans les naseaux, et dans l’œil terne et glauque
Un éclair… ce fut tout : les grands bœufs étaient morts. —
La Nuit ! Toujours la Nuit ! Toujours la Solitude !
Les vautours sur la proie, affamés et joyeux
Fondent ; le froissement de leur plumage rude
Se mêle au grincement d’un char aux lourds moyeux… —
Le chariot roulait. — Et les chasseurs nocturnes
De leurs ongles aigus dépeçaient les grands bœufs :
Cependant que passaient deux formes taciturnes
Par les âpres sentiers et les vallons bourbeux,
Tirant le chariot massif aux ais d’érable.
Seléné blanchissait les fils pieux et forts,
Attelés et traînant leur mère vénérable !
La bienveillante Hèra protégeait leurs efforts.