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MOLIÈRE


Racine est presque un Grec, Corneille est un romain ;
Molière, tout Français, a marqué son chemin
Sur le vieux sol gaulois avec sa muse franche,
Qui marchait nez au vent et le poing sur la hanche,
Œil vif, gorge orgueilleuse et bonnet de travers,
Raillant les faux atours autant que les beaux airs ;
Belle fille, portant sa dent inassouvie
Sur les travers du monde et les fruits de la vie,
En faisant éclater, du soir jusqu’au matin,
Sa gaîté pétillante et son rire argentin,
Comme on voit la grenade, au fond d’or des campagnes,
Ouvrir sa lèvre rouge au soleil des Espagnes.

Le roi Louis Quatorze a traversé le Rhin,
Mais que nous reste-t-il de ce bruit souverain ?
Il nous reste Molière et sa verte ironie :
La conquête, c’est l’art ; le roi, c’est le génie !
Si Louis revenait du royaume des morts
Sourire à son passé, sans peur, non sans remords,
Évoquant sa première ou dernière victoire,
Recherchant son Paris, recherchant son histoire,
Il ne trouverait, en sortant du tombeau,
Que ta maison, Molière, un Versailles plus beau !
Arche sainte, qui vogue et porte d’âge en âge
Le rire des aïeux, le meilleur héritage ;
Panthéon tout vivant, glorieuse maison,
Où le pampre fleurit aux mains de la raison ;
Où, comme un beau fruit mûr sur l’espalier qui ploie,
On voit s’épanouir et rayonner la joie ;