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Tremble, et sur sa poitrine âpre, d’effroi saisie,
Se répand un parfum céleste d’ambroisie.
Un grand souffle éperdu murmure dans les airs ;
Une lueur vermeille au fond de ces déserts
Grandit, mystérieuse et sainte avant-courrière,
O vastes cieux ! et là, marchant dans la clairière,
Luttant de clarté sombre avec le jour douteux,
Meurtris, blessés, mourants, sublimes, ce sont eux,
Eux, les grands exilés, les dieux. O misérables !
Les chênes accablés par l’âge, et les érables
Les plaignent. Les voici. Voici Zeus, Apollon,
Aphroditè, marchant pieds nus (et son talon
A la blancheur d’un astre et l’éclat d’une rose !)
Athènè, dont jadis, dans l’éther grandiose,
Le clair regard, luttant de douceur et de feu,
Était l’intensité sereine du ciel bleu.
Hèrè, Dionysos, Hèphaistos triste et grave,
Et tous les autres dieux foulant la terre esclave
S’avancent. Tous ces rois marchent, marchent sans bruit,
Ils marchent vers l’exil, vers l’oubli, vers la nuit,
Résignés, effrayants, plus pâles que des marbres,
Parfois heurtant leurs fronts dans les branches des arbres,
Et, tandis qu’ils s’en vont, troupeau silencieux,
La fatigue d’errer sans repos sous les cieux
Arrache des sanglots à leurs bouches divines,
Et des soupirs affreux sortent de leurs poitrines.


Car depuis qu’en riant les empereurs, jaloux
De leur gloire, les ont chassés comme des loups,
Et que leurs palais d’or sont brisés sur les cimes
De l’Olympe à jamais désert, les dieux sublimes
Errent, ayant connu les pleurs, soumis enfin
A la vieillesse horrible, aux douleurs, à la faim,