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jane

sorte que, si on lui reprochait un délit, elle pouvait répondre :

— Marthe aussi, elle en a cassé un verre.

Ou encore :

— Oh ! madame, Paul a échappé son assiette, et elle est en mille miettes.

Ensuite, quand c’était encore elle qui faisait le malheur, elle répétait, ses yeux bleus égarés par la peur, même après tant d’années d’impunité :

— J’l’ai pas fait exprès, pas fait exprès… Pas ma faute, pas ma faute.

Et reculant alors, comme si elle redoutait des coups, elle s’accrochait dans quelque meuble et abîmait autre chose. Quand elle s’énervait, elle avait cette habitude de reculer, tout en guettant l’effet de ses paroles ; et un jour, à la campagne, marchant ainsi, elle trouva le tour de tomber dans la cave, dont elle venait elle-même d’ouvrir la trappe. Elle avait oublié, ce n’était pas sa faute.

— Ma crème ! s’exclama malgré elle sa patronne, car Jane était disparue la tête la première, avec un grand bol du précieux et onctueux liquide.

Honteuse de ce premier mouvement assez justifiable, la patronne se précipita vers l’escalier d’où montaient des gémissements. Elle ramassa, rassura, consola l’infortunée. Heureusement, il n’y eut pas à la panser. Elle était tombée comme un chat, sur ses quatre pattes, et sans se faire de mal. Elle n’avait pas le don, hélas ! de se laver comme un chat, avec sa langue : moins de la savoureuse crème aurait été irrémédiablement perdue.