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bien élevée. Elle prenait des airs auprès de son mari, mais gentiment, sans donner l’impression qu’elle posait. Elle soutenait contre lui les opinions les plus contradictoires, pour être bien sûre qu’il ne lui imposait pas ses idées. C’était, bien entendu, une comédie qu’elle se jouait, mais avec sincérité, voulant tant rester elle-même et personnelle — ou du moins, garder l’illusion qu’elle le restait : car quelle femme au monde peut aimer, et au début de cet amour, ne pas se laisser influencer en tout ?

Le petit salon orangé et bleu, au fait, puisque le mari était architecte, il avait dû y mettre du sien. Ces fauteuils, ces tables, ces bibliothèques, — les premiers meubles que je vis qui ne venaient pas tout faits d’un magasin — il avait dû les dessiner au moins. Nos écoles d’art moderne, nos ateliers n’existaient pas encore. Mais il n’était pas question de la part du mari. C’était la composition de Christiane, le salon de Christiane, le goût de Christiane, les couleurs de Christiane ; orange et bleu ; orange très orangé comme les lis tigrés du bouquet, bleu bien bleu comme les delphiniums du bouquet.

Ce petit salon, les détails en sont effacés de ma mémoire. L’arrangement des fenêtres — les rideaux d’étamine bien blanche bordée d’un jour au fil jaune, les tentures, les fauteuils bas, c’est tout ce qui me reste. Il m’est absolument impossible de retrouver la couleur du mur. Mais en regardant le beau bouquet de lis et de delphiniums, Christiane est reparue bien vivante dans son petit salon et je l’ai revue marquant à son