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enthousiasme

Allez-y voir ! Mousseline ne se trouva pas bien. Pour ma part, quand j’y repense, j’imagine que Mousseline, qui toute sa vie n’avait connu que prés rasés et pauvres, ne savait que faire de l’abondance de ce champ. Sa couleur aussi avait pu la déconcerter. Car le foin ne poussait pas tout seul ; en juillet, cette prairie était une merveille ; les grosses fleurs rouges des trèfles, les grappes bleues du jargeau, les collerettes des innombrables marguerites en faisaient un jardin dont j’ai cent fois vanté la splendeur.

Mousseline le regardait et beuglait.

Sur ce champ passait, parfumé de sel et d’iode, le grand air du large. Aucun lieu ne semblait plus édénique.

Il n’empêcha pas Mousseline de beugler toute la journée. Le soir Nazaire vint la chercher pour la ramener à la maison. Tout le monde supposait qu’entre les beuglements, elle avait tout de même eu le temps de prendre une bouchée, et qu’elle donnerait de quoi abreuver les trois familles du banc.

Elle donna tout juste une pinte.

Cela devenait une tragédie.

Marie sortit l’auto et s’en fut voir monsieur Mégras qui lui avait vendu l’animal. Que devait-elle en faire ?

C’était un vendredi. Il promit de venir la voir le lendemain. Sans doute avait-il l’intention de la raisonner.

Mousseline beugla sa nuit entière, consciencieusement, mais dehors. Le matin, Nazaire la ramena à mon pâturage. Si je voulais du lait,