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poilu

Qu’elle roulait la vieille bécane, appareillée et graissée à neuf la veille !

Mais le matin, en vérité, après s’être levé splendide, ne promettait plus rien de bon. Il devenait gris, lourd et venteux. Un grand coup de soleil l’avait de bonne heure éclairé, puis un paravent de nuage s’était rabattu sur la clarté.

Qu’importait à Pierrot !

Il avait enroulé son pique-nique, dans son veston. Il filait, nez au vent, sur le boulevard Décarie, puis sur Monkland. Il se laissa descendre à une allure folle dans la pente du tunnel, remonta, rejoignit côte de Liesse, la prit vers le boulevard Crémazie. Déjà, c’était la campagne ; une campagne paisible qui le rendait joyeux sans qu’il pût analyser pourquoi : toutes ces vieilles maisons de pierre, avec leurs yeux, leur bouche, leur air aimable parmi des chevelures de saule ou d’érable ! ces terres où restaient encore tant de tomates rouges, et de longues rangées de choux !… Des asters multicolores fleurissaient les parterres. Des citrouilles grossissaient encore auprès des clôtures. Les arbres changeaient déjà de teinte et Pierrot pensait à l’automne véritable, à l’automne des arbres rouges, du vent, de la chute des feuilles. Il aurait alors retrouvé son compagnon Poilu, il courait avec lui partout, il serait heureux, les jours de congé !

Le boulevard Gouin, sinueux au bord de la rivière, l’abritait de son ombre. Il roulait, à la manière des petits gars tantôt pédalant debout, tantôt la tête dans le dos, malgré les promesses faites à sa mère. Tout le passionnait.