Page:Le Normand - Enthousiasme, 1947.djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.
108
enthousiasme

dents de lait, la palette de droite. Il se dit tout heureux :

— Enfin, pour un bout de temps, je vais pouvoir les distinguer.

Mais le midi du même jour, la même dent était tombée de la bouche de Guy, et de nouveau Guy pouvait être André et André pouvait être Guy. Les dents de lait s’en allèrent toutes d’ailleurs dans le même ordre, — l’un ou l’autre y aidant peut-être — et les dents neuves poussèrent exactement pareilles, et les blonds cheveux en même temps se mirent à foncer. Bientôt les petites filles des alentours que le phénomène d’une ressemblance si parfaite attirait, commencèrent à trouver qu’ils étaient beaux et à les aimer, et à leur prodiguer leurs belles façons. Une seule trouva grâce devant eux et ils l’aimèrent d’une même amitié. Ils l’aimèrent parce qu’elle était comme un garçon. Elle jouait avec eux sans exiger d’égards. Elle tombait sans pleurer. Elle grimpait sur les clôtures, sur les hangars, dans les arbres avec eux et comme eux. Elle s’appelait Ghislaine, mais eux ne savaient pas que c’était un nom romantique.

Tout de même pour Ghislaine, ils se mirent tous les deux à ramasser leurs sous, et pendant des années, pas une fois sa fête, Pâques et le Jour de l’An ne passèrent sans que Ghislaine eût son cadeau. Elle reçut des cœurs de sucre, des lapins en chocolat, des boîtes de bonbons, puis des cœurs d’or, et de petites bagues et des épinglettes.

Quand leur mère leur aida à choisir le présent qu’ils donnaient ensemble, Ghislaine eut un si joli pendentif qu’elle ne cessa plus de le porter.