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Et du soir à l’aube et de l’aurore au soir
On la vit traîner son ardent désespoir.

On la vit longtemps, pleurante et délaissée,
Charmer de ses vers sa tendresse blessée.

Ses plaintes d’oiseau, ses chants brûlants et doux
À travers les temps sont venus jusqu’à nous.

Elle visita, d’épreuves en épreuves,
Les bords inconnus des mers et des grands fleuves.

Mais elle gardait en son âme, toujours,
Son premier pays, ses premières amours.

Elle avait au front sa couronne effeuillée,
De rosée amère et d’orage mouillée.

Sur ses faibles fleurs la Misère et la Mort
Soufflèrent ainsi que la bise du Nord.

Mais elle planait au-dessus de nos fanges,
Et versait des pleurs que recueillaient les Anges.

Mais sa pauvreté sur d’autres se penchait ;
Sur toutes ses sœurs sa pitié s’épanchait.

Mais elle entendait, à l’heure où le soir tombe,
Des mots qui venaient des cieux ou d’outre-tombe.

Mais elle écoutait les sons évanouis
Des clochers flamands depuis longtemps ouïs.

Et, quand se leva son dernier crépuscule,
Un cri s’échappa de sa lèvre qui brûle :

 « Me voici, mon Père, avec mes tristes fleurs,
 « Mortes sous la bise et le sel de mes pleurs. »

Les esprits de Dieu, vifs comme des abeilles,
Prirent les rameaux en leurs saintes corbeilles.

Et, ressuscitée au jardin immortel,
La couronne orna de ses roses le ciel ;

Et, lorsque la nuit étend ses sombres voiles,
On les voit s’ouvrir au verger des étoiles.